Nérée Beauchemin

L’idylle dorée

Au vent joyeux de la bonne nouvelle
L’étable s’ouvre ; et sa merveille est telle
Que les naïfs bergers en sont troublés.
 
Illuminant la crèche sombre encore,
L’Enfant paraît en un orbe d’aurore,
Plus blond que l’or des méteils et des blés.
 
Tout reluit sous l’humble chaume en ruine ;
Tout y rutile. Ô nuits de Palestine,
De vos ciels d’aube pâle, est-ce un reflet ?
 
Lune magique, est-ce ton sortilège ?
Est-ce l’éclat de ta blancheur de neige ?
Est-ce ton charme, ô bel enfantelet ?
 
Un homme est là, grave comme en un temple ;
Hiératique, il admire, il contemple,
Ne sachant plus que bénir à genoux.
 
Dans son long voile et dans sa blanche robe,
Pudique et belle, aux regards se dérobe
Une humble femme au profil triste et doux.
 
Couple candide, ils restent sans parole,
Le front ceint d’une opaline auréole,
Navrés d’amour et de ravissement.
 
Le père exulte, et la mère soupire ;
Tendre, elle fait effort pour lui sourire,
Mais son sourire expire tristement.
 
Elle, la Sainte, elle, l’Immaculée,
Oh ! comme elle est confuse, émerveillée,
Toute à son rêve et toute à son affront.
 
Elle se voit dans une bergerie,
Et, pour son Christ, non pour elle, Marie
Pleure, le glaive au cœur, l’épine au front.
 
Le nouveau-né, demi-nu, que l’haleine
Du bœuf et de l’âne réchauffe à peine,
Tout frêle et tout mignon, tremble et vagit.
 
La plus modeste entre toutes les mères
Se meurt de honte, et le sang de ses pères
Comme une pourpre à sa tempe rougit.
 
Dans ce réduit de misère, les anges,
Venus du ciel, modulent les louanges
Du gracieux petit roi de Sion.
 
L’oreille entend la harpe qui console,
La tendre lyre et la tendre viole,
Et le théorbe et le psaltérion ;
 
Mais ni le luth qui berce et qui caresse,
Ni la viole exquise de tendresse,
Rien n’a charmé le souci maternel.
 
Pensive, au bord de la crèche accoudée,
Elle pressent, crucifiante idée,
Quelque chagrin qui lui semble éternel.
 
Les séraphins suspendent leur cantique :
Et l’âpre son du hautbois bucolique
Se mêle au frais gazouillis des pipeaux.
 
La corne a pris sa voix la plus câline,
Et le roseau langoureux, en sourdine,
Chante à ravir l’âme des bleus oiseaux.
 
On croit ouïr les endormeuses plaintes
De l’air parmi les légers térébinthes,
Du soir parmi les pâles oliviers.
 
En la blancheur de la lumière astrale
Monte et descend la fraîche pastorale
Que dit le chœur rustique des bouviers.
 
Cette musique élyséenne coule
Et, vrai miracle, ondule et se déroule,
S’achève et file en sanglots inouïs.
 
Des femmes vont à l’adorable Juive
Offrir, avec la myrtille et l’olive,
Roses et lis tout frais épanouis.
 
Silencieux, dévalant les collines,
Orientés par les clartés divines,
Déjà, voici les chameliers du Nil.
 
Ils ont offert l’ambre et le cinnamome
Et ces lotus d’oasis dont l’arome
Calme et guérit le mal le plus subtil.
 
Ni les soupirs des pipeaux et des flûtes,
Ni le noël des chevriers hirsutes,
Rien n’a charmé le maternel souci ;
 
Ni les lotus, ni les lis de Judée,
Ni l’oliban des rois de la Chaldée,
Rien ne l’allège et rien ne l’adoucit.
 
Dans son berceau, que la mousse encourtine,
L’enfant s’éveille, et sa lèvre enfantine
S’ouvre et sourit d’un sourire de ciel.
 
Sur cette bouche idéalement rose,
La Mère, moins songeuse, moins morose,
Pose un baiser mouillé de pleurs de miel.
 
Ô tendres pleurs, délicieuses larmes,
Est-il quelqu’un qui résiste à vos charmes ?
Femme, tes pleurs font pleurer tous les yeux !
 
Dès son réveil, calme, à celle dont l’âme
D’inquiétude et d’angoisse se pâme,
Le Fils envoie un regard radieux.
 
Nul pavillon d’impérator n’égale
Ce gîte où luit la gloire filiale,
Ce lit de paille aux rideaux de soleil.
 
Le pâtre adore et Joseph s’extasie :
Certes, jamais les huchiers de l’Asie
Ni les bouviers n’ont vu tableau pareil.
 
Vision rose, exquise épiphanie,
Divine idylle à jamais non finie,
Charmante encore après dix-huit cents ans !
 
Aux Bethléem mystiques, des deux Mondes
Peuples et rois, caravanes profondes,
À pleines nefs apportent des présents.
 
Bercail d’azur, asile de mystère,
Où le noël amoureux de la terre
Alterne avec le cantique des cieux !
 
Crèche où naquit l’agneau des paraboles,
Agreste autel des célestes symboles,
Je vois s’ouvrir ton chaume harmonieux.
 
Tout ébloui, sur le seuil je m’arrête,
Je me prosterne et je courbe la tête,
Dans la pénombre, en silence, à l’écart.
 
Pour te louer, divin berceau, j’aspire
L’harmonieux lyrisme qu’on respire
Dans les motifs des aèdes de l’art.
 
Ô Mère pure, ô Vierge maternelle,
Vase de nard qui déborde et ruisselle,
Inonde-moi des flots de ton amour !
 
Je veux bercer ta peine et ta hantise,
Adoucir le mal qui te martyrise,
Je veux aimer ton Jésus sans retour.
 
Suivant les pas des bergers et des Mages,
Je viens offrir l’encens de mes hommages.
Que n’ai-je l’or des antiques Crésus !
 
Oh ! laisse-moi, Vierge, Mère divine,
Prendre en mes bras, presser sur ma poitrine,
Ton bien-aimé, ton trésor, ton Jésus !
 
Je veux que ma lèvre à sa lèvre touche.
Combien heureux je serais, si ma bouche
Pouvait chanter un chant digne de toi !
 
Mais c’est en vain que mon hymne s’élance.
Suspends ton rythme, ô mon cœur, le silence
Exprime seul mon extatique émoi.

Les floraisons matutinales (1897)

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