Nérée Beauchemin

L’hirondelle pieuse

Un soir, je vis une hirondelle
Descendre du haut du ciel bleu
Et s’élancer à tire d’aile
Sous les absides du saint lieu.
 
Et depuis, dans les vapeurs blanches
De l’encens, à vol doux, léger,
On voit, par l’église, aux dimanches,
Le pieux oiseau voltiger.
 
Au plein air, à la brise fraîche,
Le large seuil est grand ouvert :
Pauvre oisillon, qui donc t’empêche
De retourner au vallon vert ?
 
N’entends-tu pas, dans les campagnes,
La nuit, quand les cieux sont déserts,
Les cris perdus de tes compagnes,
Que chasse le froid des hivers ?
 
Par les coupoles ajourées,
Ne vois-tu pas, parfois, le soir,
Aux demi-lueurs des vêprées,
Zigzaguer un petit vol noir.
 
« Viens ! dit une voix gazouillante ;
Là-haut, sur la tour, on t’attend ;
Avant qu’il neige, avant qu’il vente,
Hâte-toi, mon amour, viens-t’en !”
 
Et, sur la tour, les camarades
Entre elles parlent de partir,
Et leurs brèves monosyllabes
Bruissent à n’en plus finir.
 
« Viens, reprend la voix, viens, mignonne.
Entends-tu crier les halbrans ?
Plaintifs, colonne par colonne,
S’en vont les derniers émigrants.
 
Tes sœurs poussent des cris d’alarme :
Fuyons le froid ! fuyons la mort !
Réponds-moi, cruelle ! Quel charme
À ces voûtes t’enchaîne encor ?
 
Aurais-tu l’idée enfantine
De vivre ici, dorénavant,
Et de te faire sacristine,
Comme une fille du couvent ?
 
On ne vit point que de prière :
Pour les folâtres oisillons,
Un grain de mil vaut mieux, ma chère,
Que toutes les dévotions.
 
Préférerais-tu, pauvre folle,
Pour réciter tes oraisons,
Le ciel étroit d’une coupole,
Au plein ciel des grands horizons ?
 
Je n’ai jamais vu les corniches
Où tu sembles te plaire tant.
Valent-elles les vieilles niches
De nos bons vieux logis d’antan ?
 
Viens ! nous passerons par Venise,
Et nous referons, si tu veux,
De Messine jusqu’à Trévise,
Le tour des jolis pays bleus.
 
Des cathédrales florentines
Nous reverrons le fin décor,
Et de leurs cloches argentines
Nous entendrons les gammes d’or.
 
À Rome, à Ferrare, à Sienne,
De mille temples sans pareils,
Dans notre course aérienne,
Nous verrons les clochers vermeils.
 
Viens ! nous irons tout droit à Nice.
Oh ! viens, je suivrai, nuits et jours,
Toute aile et tout cœur, le caprice
D’une voyageuse au long cours.
 
Narguant le mistral et les pluies,
Nous nous cacherons dans les fleurs ;
Et puis, ma foi, si tu t’ennuies,
Nous irons nous aimer ailleurs.
 
Au son des claires mandolines,
Nous irons, par un beau matin,
Nous marier sur les collines
Du vert pays napolitain.
 
Nous choisirons ce coin tranquille,
Ce creux de ruine discret,
Où, le soir, une jeune fille
Vient s’agenouiller, en secret.
 
Sous le manteau de la madone,
Qu’un amandier toujours fleuri
De ses fleurs de neige couronne,
Nous trouverons un sûr abri.
 
Quand les petits seront en âge,
À vol silencieux et lent,
Nous irons en pèlerinage
À Notre-Dame de Milan.
 
Puis, par les routes nuageuses,
Que suivent, dans le temps pascal,
Les graves cloches voyageuses,
Nous reviendrons au nid natal.
 
Et, dans la tour, les camarades
Entre elles parlent de partir,
Et leur brèves monosyllabes
Bruissent à n’en plus finir.
 
« Oh ! viens, redit la voix pleurante ;
Viens donc, tout là-haut, on t’attend ;
Avant qu’il neige, avant qu’il vente,
Oh ! viens-t’en, cher amour, viens-t’en ! »
 
Au vitrail clos de la chapelle,
On entend heurter à grand bruit.
Longtemps, bien longtemps, on appelle,
Longtemps, bien longtemps, dans la nuit.
 
Hier, près des auges de pierre
Qui soutiennent les bénitiers,
Je vis la pauvre prisonnière
Tomber, l’aile close, à mes pieds.
 
Je pris dans ma main la pauvrette.
Je crus voir, comme un fin brillant,
Miroiter une gouttelette
Sur les plumes de son col blanc.
 
Était-ce une larme ? une goutte
D’eau bénite ? Je n’en sais rien.
Le cœur des bons oiseaux, sans doute,
Vaut bien celui d’un faux chrétien.
 
Ô pieuse hirondelle aimée,
C’est bien à bon droit qu’en tout lieu
Le bon peuple aimant t’a nommée :
Le petit oiseau du bon Dieu.
 
En redisant ta simple histoire,
Je songe à ces anges voilés,
Qui, dans l’ombre de l’oratoire,
Pour nous se sont agenouillés.
 
Je songe à ces vierges ferventes
Qui vivent de saintes amours,
Et s’ensevelissent vivantes,
Dans la prière, pour toujours.

Les floraisons matutinales (1897)

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