Nérée Beauchemin

L’érable

L’érable au torse dur et fort,
Ébrèche le fer qui l’assaille,
Et, malgré mainte et mainte entaille,
Résiste aux plus grands coups du Nord.
 
L’hiver, dont le cours s’éternise,
De givre et de neige a tissé
Le linceul de l’arbre glacé.
L’érable est mort ! hurle la bise.
 
L’érable est mort ! clame au soleil
Le chêne orgueilleux qui s’élance.
L’érable prépare en silence
Le triomphe de son réveil.
 
Sous le velours âpre des mousses
La blessure ancienne a guéri,
Et la sève d’un tronc meurtri
Éclate en glorieuses pousses.
 
Des profondeurs d’un riche fond,
L’arbre pousse ; il semble qu’il veuille
Magnifier, de feuille en feuille,
Le miracle d’un coeur fécond.
 
Il n’a fallu qu’une heure chaude
Pour que soudain, l’on vît fleurir,
Sur les bourgeons, lents à s’ouvrir,
La pourpre, l’or et l’émeraude.
 
L’érable vit ! chante en son vol
Tout le choeur des forêts en fête :
L’érable, de la souche au faîte
Frémit au chant du rossignol.
 
Contre la bise et l’avalanche,
Le roi majestueux des bois
A pris, et reprendra cent fois,
Sa victorieuse revanche.
 
L’érable symbolise bien
La surnaturelle endurance
De cette âpre race de France
Qui pousse en plein sol canadien :
 
Robuste et féconde nourrice
Dont le flanc, tant de fois blessé,
Des rudes coups d’un fier passé
Porte l’illustre cicatrice.

Patrie intime (1928)

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