Nérée Beauchemin

Giboulée

De grands brouillards couleur de suie,
Chassés par un vent sans pareil,
Passent à plein vol : neige et pluie
Tombent, brillantes de soleil.
 
Sur les toits, globule à globule,
Pétillent grésil et grêlons ;
Et la vitre tintinnabule :
On croit ouïr des carillons.
 
Sans répit, la mitraille fine
Sautille, étincelle, bruit :
Puis une bruine argentine
Filtre du nuage qui fuit.
 
Nul crayon ne pourrait décrire
Ce temps qui change en un clin d’œil.
Des pleurs se mêlent au sourire
Qu’avril donne à l’hiver en deuil.
 
Une aveuglante soleillée
Jaillit tout à coup du ciel bleu ;
Il semble que la giboulée
Darde mille aiguilles de feu.
 
Étoiles de glace fleuries,
Prismes de cristal délicats :
On dirait mille pierreries,
Mille papillotants micas.
 
Mais ces joyaux se fondent vite.
L’astre qui déjà flambe haut,
Dans l’azur éclairci gravite
De plus en plus clair et plus chaud.
 
En dépit de la bise froide,
Ses obliques rayons tiédis
  Font mollir la ramure roide
Des vieux érables engourdis.
 
Au fond des forêts que décorent
Sapins verts et blancs merisiers,
Les sirops odorants se dorent
Au feu des résineux brasiers.
 
De l’écorce fraîche entaillée,
Dans les vases de fin bouleau,
Pure, cristalline, emmiellée,
Goutte à goutte distille l’eau.
 
Maintenant le couchant rougeoie.
L’oiseau, qui pressent les beaux jours,
Raconte la première joie
De ses vagabondes amours.
 
Huppe au vent, il saute, il pépie.
La mère, au creux des brins douillets,
Grelottante, en boule tapie,
Réchauffe ses chers oiselets.
 
Preste courrier que nous dépêche
La saison verte, oiseau, qu’es-tu ?
Que nous chante la chanson fraîche
De ton grêle sifflet pointu ?
 
Alerte et gentil hochequeue,
Du haut des pins ne vois-tu pas,
Par-dessus la colline bleue,
Venir Mai, tout rose, là-bas ?
 
Pâques vient : monts, val et clairière
N’ont point quitté leur blanc décor,
Et la fauvette printanière
Ne rossignole pas encor.

Les floraisons matutinales (1897)

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