Nérée Beauchemin

Fleurs d’hiver

                     Au poète qui m’applaudit.
 
 
Ton applaudissement, divin poète, inspire
L’humble songeur dont l’âme impétueuse aspire
              Au lyrisme infini des cieux.
 
Il m’exalte déjà, ce bravo qui m’honore.
Ma strophe bat de l’aile et s’élance, sonore ;
              Son vol est plus harmonieux.
 
Avais-je quelque droit à ta brillante estime ?
Que t’offrir, en retour de cet accueil intime,
              Rival des immortels chanteurs ?
 
Des roses ? Les frimas les ont ensevelies ;
Je chercherais en vain leurs corolles pâlies
              Et leurs embaumantes senteurs.
 
Que dis-je ? j’oubliais que la neige étincelle,
Et que ce ciel, taché de nuages, recèle
              La grêle et le givre argentin.
 
Le ciel est gris, la terre est froide. Les rafales
Pour longtemps ont éteint les flammes triomphales,
              Les pourpres clartés du matin.
 
Plus de fleurs à cueillir dans l’herbe des prairies !
Plus de vers à glaner au jardin de féeries
              Où la rime éclôt à foison.
 
Pareils à ces oiseaux frileux qu’octobre chasse,
Nos rêves ont quitté ce triste azur de glace
              Pour le bleu d’un autre horizon.
 
Grelottant, dans l’air gris, le soleil de décembre
Se couche, et déjà vient la brune, et, dans ma chambre,
              Comme dans un bois, il fait noir.
 
Salut, petit soleil des hâtives veillées,
Qui brilles, vague, pâle, aux vitres étoilées,
              Poétique lampe du soir !
 
À petit bruit, la neige, au dehors, tombe lente,
En légers flocons fins, sous la lune tremblante,
              Comme une poudre de cristal.
 
Oh ! quelle floconneuse avalanche argentée !
Oh ! parmi ces blancheurs d’aube diamantée
              Comme il est beau, le toit natal !
 
Te redirai-je à toi le poète, l’artiste,
L’exquise impression, à la fois douce et triste,
              Que nous donne le coin du feu ?
 
Te dirai-je les doux pensers que nous suggère
Le logis où les fleurs de la verte étagère
              Évoquent l’été frais et bleu !
 
Oh ! que la chambre est bonne, et qu’il est bon d’y vivre,
Malgré le froid, malgré le vent, malgré le givre,
              Dans le calme et l’apaisement !
 
Le piano frémit : une voix veloutée
S’élève et sa douceur, dans mon âme hantée,
              A réveillé l’amour dormant.
 
Là-haut, dans la mansarde, on se meurt de misère ;
Ici, dans les salons, comme dans une serre,
              Le bonheur embaume et fleurit.
 
La volupté blasphème au fond du bouge infâme.
Au foyer, Dieu descend : la mère en pleurs se pâme
              Aux lèvres de l’ange qui rit ;
 
Le chapelet aux doigts, l’aïeule s’agenouille.
Et moi, je joins les mains, et mon regard se mouille,
              Et je te bénis, ô Dieu bon !
 
Par ton charme, ô foyer natal, par ta magie,
L’hiver est sans frissons, sans deuil, sans nostalgie.
              Douce maison, douce maison !
 
Poète, en attendant que le printemps renaisse,
Et redonne aux forêts leur robe de jeunesse
              Et leur éclatant voile vert ;
 
En attendant qu’Avril ensoleille et colore
Ces chaudes floraisons qu’un souffle fait éclore,
              Reçois ces pâles fleurs d’hiver.

Les floraisons matutinales (1897)

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