Louise Ackermann

Le nuage

Levez les yeux ! C’est moi qui passe sur vos têtes,
Diaphane et léger, libre dans le ciel pur ;
L’aile ouverte, attendant le souffle des tempêtes,
            Je plonge et nage en plein azur.
 
Comme un mirage errant, je flotte et je voyage.
Coloré par l’aurore et le soir tour à tour,
Miroir aérien, je reflète au passage
            Les sourires changeants du jour.
 
Le soleil me rencontre au bout de sa carrière
Couché sur l’horizon dont j’enflamme le bord ;
Dans mes flancs transparents le roi de la lumière
            Lance en fuyant ses flèches d’or.
 
Quand la lune, écartant son cortège d’étoiles,
Jette un regard pensif sur le monde endormi,
Devant son front glacé je fais courir mes voiles,
            Ou je les soulève à demi.
 
On croirait voir au loin une flotte qui sombre,
Quand, d’un bond furieux fendant l’air ébranlé,
L’ouragan sur ma proue inaccessible et sombre
            S’assied comme un pilote ailé.
 
Dans les champs de l’éther je livre des batailles ;
La ruine et la mort ne sont pour moi qu’un jeu.
Je me charge de grêle, et porte en mes entrailles
            La foudre et ses hydres de feu.
 
Sur le sol altéré je m’épanche en ondées.
La terre rit ; je tiens sa vie entre mes mains.
C’est moi qui gonfle, au sein des terres fécondées,
            L’épi qui nourrit les humains.
 
Où j’ai passé, soudain tout verdit, tout pullule ;
Le sillon que j’enivre enfante avec ardeur.
Je suis onde et je cours, je suis sève et circule,
            Caché dans la source ou la fleur.
 
Un fleuve me recueille, il m’emporte, et je coule
Comme une veine au cœur des continents profonds.
Sur les longs pays plats ma nappe se déroule,
            Ou s’engouffre à travers les monts.
 
Rien ne m’arrête plus ; dans mon élan rapide
J’obéis au courant, par le désir poussé,
Et je vole à mon but comme un grand trait liquide
            Qu’un bras invisible a lancé.
 
Océan, ô mon père ! Ouvre ton sein, j’arrive !
Tes flots tumultueux m’ont déjà répondu ;
Ils accourent ; mon onde a reculé, craintive,
            Devant leur accueil éperdu.
 
En ton lit mugissant ton amour nous rassemble.
Autour des noirs écueils ou sur le sable fin
Nous allons, confondus, recommencer ensemble
            Nos fureurs et nos jeux sans fin.
 
Mais le soleil, baissant vers toi son œil splendide,
M’a découvert bientôt dans tes gouffres amers.
Son rayon tout puissant baise mon front limpide :
            J’ai repris le chemin des airs !
 
Ainsi, jamais d’arrêt. L’immortelle matière
Un seul instant encor n’a pu se reposer.
La Nature ne fait, patiente ouvrière,
            Que dissoudre et recomposer.
 
Tout se métamorphose entre ses mains actives ;
Partout le mouvement incessant et divers,
Dans le cercle éternel des formes fugitives,
            Agitant l’immense univers.

Poésies philosophiques (1871)

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