Ah ! si la Muse était tant soit peu fée,
Chanter, vraiment, serait emploi des dieux ;
Point ne pourrait le plus petit Orphée
La bouche ouvrir, qu’on ne vît de tous lieux
Courir les gens. Oui, nous ferions merveille,
Et sous nos pas la foule toute oreille
Ramasserait les miettes de nos vers.
Il n’en va point ainsi. Pour ceux qu’attire
La Muse au fond de ses bosquets déserts,
Les temps sont durs ; de l’aveu de la lyre,
Ce charme a fui qui lui livrait les cœurs.
Dans mes loisirs j’ai donc à la légère
Rimé ceci, ne comptant point ou guère
Que mes accords offriront des douceurs
Vous agréant. Pas moins ne m’en enchante
Un art divin ; car si les vers pour vous
N’ont plus d’attraits, pour celui qui les chante
Il leur en reste encore, et des plus doux.
De frais atours et fleurs de poésie
Ces miens récits parer à ma façon,
Dans ses sentiers suivre la fantaisie,
Chemin faisant répéter sa chanson,
Amours décents prendre pour camarades,
Les égayer à mes propos divers,
Trouver parfois, au beau détour d’un vers,
Un joli mot qui me fait des œillades,
N’est-ce plaisir ? Quand pousse ses roulades
Le rossignol au sein des bois aimés,
Demande-t-il si ses voisins charmés
L’écouteront en ces vertes demeures ?
Ainsi que lui, pour moi seul, à mes heures,
Je vais chantant, mais très-bas toutefois.
Plus haut qu’un conte il n’est sûr à ma voix
De se lancer ; aussi bien se tient-elle
À ces récits. Même il se peut parfois
Qu’en mon chant simple une note rappelle
Quelque vieux maître ; et plût à Dieu, vraiment,
Que cela fût, car cela serait charme.
Depuis longtemps il n’est rire ni larme
Qui soient nouveaux sous notre firmament.
Redite, hélas ! et regazouillement,
C’est tout notre œuvre, et qui rime s’expose
À faire ouïr des sons déjà connus ;
Heureux encor, parmi les tard venus,
Ceux dont le chant ressemble à quelque chose.