Jean de La Fontaine

Les oreilles du lièvre

Un animal cornu blessa de quelques coups
            Le lion, qui plein de courroux,
            Pour ne plus tomber en la peine,
            Bannit des lieux de son domaine
Toute bête portant des cornes à son front.
Chèvres, béliers, taureaux aussitôt délogèrent ;
            Daims et cerfs de climat changèrent :
            Chacun à s’en aller fut prompt.
Un lièvre, apercevant l’ombre de ses oreilles,
            Craignit que quelque inquisiteur
N’allât interpréter à cornes leur longueur,
Ne les soutînt en tout à des cornes pareilles.
« Adieu, voisin grillon, dit-il ; je pars d’ici :
Mes oreilles enfin seraient cornes aussi ;
Et quand je tes aurais plus courtes qu’une autruche,
Je craindrais même encor. » Le grillon repartit :
   « Cornes cela ? Vous me prenez pour cruche ;
              Ce sont oreilles que Dieu fit.
          —On les fera passer pour cornes,
Dit l’animal craintif, et cornes de licornes.
J’aurai beau protester ; mon dire et mes raisons
            Iront aux Petites-Maisons. »

Les fables du livre V (1668)

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