Jean de La Fontaine

Le singe et le léopard

Le Singe avec le Léopard
Gagnaient de l’argent à la foire :
Ils affichaient chacun à part.
L’un d’eux disait : Messieurs, mon mérite et ma gloire
Sont connus en bon lieu ; le Roi m’a voulu voir ;
Et si je meurs il veut avoir
Un manchon de ma peau ; tant elle est bigarrée,
Pleine de taches, marquetée,
Et vergetée, et mouchetée.
La bigarrure plaît ; partant chacun le vit.
Mais ce fut bientôt fait, bientôt chacun sortit.
Le Singe de sa part disait : Venez de grâce,
Venez Messieurs ; Je fais cent tours de passe-passe.
Cette diversité dont on vous parle tant,
Mon voisin Léopard l’a sur soi seulement ;
Moi je l’ai dans l’esprit : votre serviteur Gille,
Cousin et gendre de Bertrand,
Singe du Pape en son vivant ;
Tout fraîchement en cette ville
Arrive en trois bateaux exprès pour vous parler ;
Car il parle, on l’entend, il sait danser, baller,
Faire des tours de toute sorte,
Passer en des cerceaux ; et le tout pour six blancs :
Non, Messieurs, pour un sou ; si vous n’êtes contents,
Nous rendrons à chacun son argent à la porte.
Le Singe avait raison ; ce n’est pas sur l’habit
Que la diversité me plaît, c’est dans l’esprit :
L’une fournit toujours des choses agréables ;
L’autre en moins d’un moment lasse les regardants.
Oh ! que de grands Seigneurs au Léopard semblables,
Bigarrés en dehors, ne sont rien en dedans !

Les fables du livre IX (1678)

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