Jean de La Fontaine

Le serpent et la lime

On conte qu’un serpent, voisin d’un horloger
(C’était pour l’horloger un mauvais voisinage),
Entra dans sa boutique, et, cherchant à manger,
                N’y rencontra pour tout potage
Qu’une lime d’acier, qu’il se mit à ronger.
Cette lime lui dit, sans se mettre en colère :
   « Pauvre ignorant ! et que prétends-tu faire ?
                Tu te prends à plus dur que toi.
                Petit serpent à tête folle,
                Plutôt que d’emporter de moi
                Seulement le quart d’une obole,
                Tu te romprais toutes les dents.
                Je ne crains que celles du temps. »
 
Ceci s’adresse à vous, esprits du dernier ordre,
Qui, n’étant bons à rien, cherchez sur tout à mordre.
                Vous vous tourmentez vainement.
Croyez-vous que vos dents impriment leurs outrages
                Sur tant de beaux ouvrages ?
Ils sont pour vous d’airain, d’acier, de diamant.

Les fables du livre V (1668)

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