Jean de La Fontaine

Le cheval et le loup

    Un certain loup, dans la saison
Quel les tièdes zéphyrs ont l’herbe rajeunie,
Et que les animaux quittent tous la maisons
    Pour s’en aller chercher leur vie,
Un loup, dis-je, au sortir des rigueurs de l’hiver,
Aperçut un cheval qu’on avait mis au vert.
    Je laisse à penser quelle joie.
« Bonne chasse, dit-il, qui l’aurait à son croc !
Eh ! que n’es-tu mouton ! car tu me serais hoc,
Au lieu qu’il faut ruser pour avoir cette proie.
Rusons donc. » Ainsi dit, il vient à pas comptés ?
    Se dit écolier d’Hippocrate ;
Qu’il connaît les vertus et les propriétés
    De tous les simples de ces prés ;
    Qu’il sait guérir, sans qu’il se flatte,
Toutes sortes de maux. Si dom Coursier voulait
    Ne point celer sa maladie,
    Lui loup gratis le guérirait ;
    Car le voir en cette prairie
    Paître ainsi, sans être lié,
Témoignait quelque mal, selon la médecine.
   « J’ai, dit la bête chevaline,
    Une apostume sous le pied.
—Mon fils, dit le docteur, il n’est point de partie
    Susceptible de tant de maux.
J’ai l’honneur de servir nos seigneurs les Chevaux,
    Et fais aussi la chirurgies. »
Mon galant ne songeait qu’à bien prendre son temps,
    Afin de happer son malade.
L’autre, qui s’en doutait, lui lâche une ruade,
    Qui vous lui met en marmelade
    Les mandibules et les dents.
« C’est bien fait, dit le loup en soi-même fort triste ;
Chacun à son métier doit toujours s’attacher.
    Tu veux faire ici l’arboriste,
    Et ne fus jamais que boucher. »

Les fables du livre V (1668)

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