Jean de La Fontaine

Le chêne et le roseau

Le Chêne un jour dit au roseau :
Vous avez bien sujet d’accuser la Nature ;
Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau.
               Le moindre vent qui d’aventure
               Fait rider la face de l’eau,
               Vous oblige à baisser la tête :
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d’arrêter les rayons du soleil,
               Brave l’effort de la tempête.
Tout vous est aquilon ; tout me semble zéphir.
Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage
               Dont je couvre le voisinage,
               Vous n’auriez pas tant à souffrir :
               Je vous défendrais de l’orage ;
               Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des Royaumes du vent.
La Nature envers vous me semble bien injuste.
Votre compassion, lui répondit l’Arbuste,
Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci.
Les vents me sont moins qu’à vous redoutables.
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici
               Contre leurs coups épouvantables
               Résisté sans courber le dos ;
Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots,
Du bout de l’horizon accourt avec furie
               Le plus terrible des enfants
Que le Nord eût porté jusque-là dans ses flancs.
               L’Arbre tient bon ; le Roseau plie.
               Le vent redouble ses efforts,
               Et fait si bien qu’il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l’empire des morts.

Les fables du livre I (1668)

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