Jean de La Fontaine

Le cerf malade

En pays pleins de cerfs, un cerf tomba malade.
Incontinent maint camarade
Accourt à son grabat le voir, le secourir,
Le consoler du moins : multitude importune.
« Eh ! messieurs, laissez-moi mourir :
Permettez qu’en forme commune
La Parque m’expédie, et finissez vos pleurs. »
Point du tout : les consolateurs
De ce triste devoir tout au long s’acquittèrent,
Quand il plut à Dieu s’en allèrent :
Ce ne fut pas sans boire un coup,
C’est-à-dire sans prendre un droit de pâturage.
Tout se mit à brouter les bois du voisinage.
La pitance du Cerf en déchut de beaucoup ;
Il ne trouva plus rien à frire :
D’un mal il tomba dans un pire,
Et se vit réduit à la fin
À jeûner et mourir de faim.
Il en coûte à qui vous réclame,
Médecins du corps et de l’âme.
Ô temps, ô moeurs ! j’ai beau crier,
Tout le monde se fait payer.

Les fables du livre XII (1694)

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