Jean Cocteau

Malédiction au laurier

Tu écartes dans tous les sens tes branches,
Soleil du soir, cerisier en fleurs.
 
Voici de mars en nous que déferlent
Embruns d’amour inconnus sur les dunes.
 
Ici ne furent semés qu’hommes bleus
Qui, soudain, poussent jusqu’au ciel.
 
Ici les vergers ne peuvent pas naître.
Le sol est un ours gourmand d’ignoble miel.
 
Mais ailleurs, je sais que le printemps naît
Comme Vénus, des vagues de la terre.
 
Aidé par les chiens, le laitier, l’angélus,
Par les coqs rempailleurs de cris, par la forge,
 
Par la rumeur en détail d’un village à des kilomètres,
Par moi, Vénus, qui me meurs.
 
Je sens avec délice en moi les folles bulles
D’où tu jaillis comme un bouchon d’or,
 
Vénus debout sur la mer feu grégeois,
Char des marins au carnaval de Nice.
 
Que pourrait-il sortir de notre mer morte ?
Les arbres ici sont épouvantails.
 
Maintenant le soleil est dans la mer du Nord.
Il ne reste que les projecteurs de la côte.
 
Ces projecteurs aveugles font des gestes
D’automate, tâtant les angles d’un plafond.
 
Il ne reste plus que du froid carré,
Que cette fusillade leste,
 
Que ces garçons français et allemands, statues
Face à face, cassées par des secousses,
 
Que ce laurier de gloire qui pousse
Sans joie, uniquement nourri de marbre.
 
Laurier inhumain, que la foudre
D’avril te tue.
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