Jean Auvray

Les verriers

Vous ennemis mortels de la mélancolie,
Vénérables Buveurs aux fronts enluminés,
Embrassez les Verriers de la noble Italie,
Car ils font des Pinceaux à vous peindre le nez.
 
Par ces braves Pinceaux nous entendons les verres,
Verres qui parmi nous de grands miracles font ;
Par eux nous oublions les malheurs de nos guerres,
Et sans eux bien souvent le Dieu Mars se morfond.
 
Le Verre inspire aussi les verves poétiques,
C’était l’aimé joyau du bon Anacréon,
Et beaucoup trouvent plus de fureurs prophétiques
Au Verre de Bacchus qu’au Trépied d’Apollon.
 
Entre les verres pleins l’on fait les mariages,
Les pleiges (*), les marchés et les transactions,
Et les hommes vivaient agrestes et sauvages,
Quand le verre adoucit leurs rudes actions.
 
Il donne l’éloquence, il augmente les forces,
II réchauffe aux vieillards leurs membres engelés,
II provoque à l’amour, rallume ses amorces,
Et fait trouver du feu entre deux culs gelés.
 
II noie les soucis, il acquitte les dettes,
II dissout aisément toutes difficultés,
II fait voir les pensées des âmes plus secrètes,
Et d’un oracle faux tire des vérités.
 
Si quelque scolaire nous objecte au contraire,
Qu’au vin, non pas au verre, appartiennent ces droits ;
Nous l’envoyons téter derechef sa grammaire,
Et de la Synecdoche apprendre encor les lois.
 
Aussi, comme à Pallas l’olive est consacrée,
Le chêne à Jupiter, le laurier à Phœbus,
Les cornes à Vulcan, le myrthe à Cytherée,
Les verres sont aussi consacrés à Bacchus.
 
Ô gentil joli verre, ô joli gentil verre,
Joli verre gentil, gentil verre joli,
Quel plaisir reçoit-on quand la bouche on desserre,
Sur ton bord qui distille un nectar cramoisi !
 
Dansez grands vases d’or, dépense superflue,
Le vin n’est si plaisant, bien qu’il soit de grand coût,
II ne peut contenter que le goût, non la vue,
Mais au verre il contente et la vue et le goût.
 
Le haut-bois est gaillard, plaisant est la pandore,
Le cithre est argentin, le luth harmonieux,
Douce est la harpe aussi, gentille la mandore,
Mais le verre cent fois est plus mélodieux.
 
Le belliqueux soldat n’aime tant son épée,
Le berger ne va tant son chalumeau prisant,
Le chicaneur sa plume, et l’enfant sa poupée,
Comme va le buveur son verre chérissant.
 
Aussi la verrerie a tant de gentillesse,
Qu’elle n’est point permise aux vilains roturiers,
Car si tu n’es tout ladre, et pourri de noblesse,
Tu ne souffleras point aux moules des verriers.
 
Bien est vrai qu’une fois quatre nymphes jolies,
Que la discrétion nous commande celer,
Nous vinrent visiter dedans nos verreries,
Et voulurent chacune un beau verre souffler.
 
Un impétueux glaçon eut congelé nos âmes,
Si lors nous eussions peu ces beautés refuser,
Puis les Italiens sont amoureux des femmes—
Quand ils ne trouvent point à Ganimédiser.
 
La plus gaillarde donc commence sans feintise,
La première à souffler notre métal fondu,
Et le mettant au moule, à l’instant elle avise
L’arrosoir de nature à sa verge pendu.
 
Hé ! mon Dieu, qu’est-ce là ? s’écria la pauvrette,
Quand la seconde dit : Qu’avez-vous donc, ma sœur ?
Là, ne faites point tant de la fille secrète,
Un vivant, bien plus gros, ne vous fait point de peur.
 
Je veux, mon petit cœur, imiter ton ouvrage,
Verrier, permettez-moi que je souffle le mien ?
Hé, mon Dieu, qu’il est beau ! vraiment j’ai l’avantage,
Car le mien est plus gros et plus long que le sien.
 
Vous ignorez encor toutes deux la manière
(Dit la troisième alors), le mien sera plus beau.
Voyez-vous comme il est renfoncé par derrière,
Et comme par devant il renverse la peau ?
 
La dernière n’étant moins que les autres gaie,
Et dont les mouvements semblaient plus ravisseurs,
Si faut-il qu’en mon rang (se dit-elle) j’essaie,
Si je le pourrai faire aussi bien que mes sœurs.
 
Lors, prenant un peu trop de notre chaude fonte,
La souffle, et puis la verse au fond du moule creux ;
Mais soufflant à la verge, elle eut un peu de honte,
Voyant que son Priape était plus gros que deux.
 
Or, pour ces instruments il y eut de la noise.
Le mien est le plus droit. Celui-là est trop lourd.
Le sien n’est qu’un fétu. Le tien est une boise,
Celui-ci est trop long, et cet autre est trop court.
 
Laissez (se dismes-nous) ce débat, belles dames,
Pour ces engins de verre, il ne vous faut fâcher.
Mettez notre métal dedans vos rouges flammes,
Et nous vous apprendrons comme on en fait de chair.
 
Elles qui ressentaient un semblable martyre,
Donnèrent pour réponse un sourire gracieux,
Et ce qu’honnêtement leur bouche n’osait dire,
Elles le firent assez entendre par les yeux.
 
Alors chacun prit celle où se jeta sa vue,
Et qui fut plus sortable à son affection :
Mais, d’autant que pour lors la table était rompue,
Nous fîmes sur le lit notre collation.
 
Le branle étant fini, ces Pénélopes sages,
Pour faire leur retour, remirent leurs collets ;
Car avec nos métaux finirent nos ouvrages,
Comme avec la note on finit les ballets.
 
Mais, hélas ! il n’est point de plaisir sans tristesse,
Toujours après le bien le mal se fait sentir :
Nous eûmes bon marché de ces douces caresses,
Mais nous en achetons bien cher le repentir.
 
Nous en avons porté la robe de Mercure.
À peine en notre bouche est restée une dent,
Si tôt n’eûmes passé le détroit de nature,
Que nous vîmes Suri, Bavière et Claquedent.
 
 
* Pleige : Caution.

Le banquet des muses (1623)

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