Jean Aicard

Retour par mer.

On carguait lentement les lourdes voiles rondes
Qui poussaient le vaisseau sous les vents réguliers,
Et l’Occident brisait ses flèches moribondes
Sur leurs rondeurs s’offrant comme des boucliers.
 
Derrière nous l’effroi de l’infini, le large.
La houle nous faisait un lent et doux roulis ;
Nos DIX vergues en croix se plaignaient sous la charge
Des voiles dont le vent gonflait les vastes plis.
 
Salut, pins au versant des falaises natales,
Ô palmiers, aloès, myrtes, arbousiers verts,
Monts lointains, bords sacrés fréquentés des cigales,
Horizon familier, salut, mon univers !
 
La douceur du retour avait gagné mon âme.
Le parfum de la plage arriva jusqu’à bord,
Puis ce fut un cri d’homme, et puis un chant de femme :
L’air était plein de voix nous invitant au port.
 
Ton appel était fait, Provence maternelle,
D’un mélange charmant de bruits et de chansons :
Tout parlait, l’aboiement d’un chien, l’essor d’une aile,
Et même la fumée au faîte des maisons.
 
Tous les parfums d’avril venaient à la rencontre
Du vaisseau de haut bord qui marchait calme et beau ;
Arbre ou rocher, le point reconnu qu’on se montre
Se profilait déjà distinct sur le coteau.
 
Voyageurs ! voyageurs ! explorez la nature ;
Tentez au bout des mers la pensée ou l’amour :
Tout départ vous promet une heureuse aventure,
Et ce bonheur fuyant n’est que dans le retour !
 
Il vous attend sous l’arbre, au seuil de votre porte,
Où vous avez, enfant, joué, souri, pleuré ;
Sur la plage où chanta votre jeunesse morte,
Au pays où l’aïeul paisible est enterré.
 
Ah ! puisqu’il faut enfin qu’on s’incline et qu’on meure,
Retournez au foyer.—« Mais il est muet ! »—Non ;
Car tout vous est ami dans la vieille demeure,
Et les gens d’alentour connaissent votre nom.
 
Ne vous resterait-il que l’amitié des choses,
Dans le petit enclos sans fermiers et sans chien,
Retournez-y ; d’ailleurs, là, sous ces lauriers roses,
Quand vous aviez seize ans ne promîtes-vous rien ?
 
Voyageurs, le retour c’est l’instant où l’on aime ;
Jamais on n’aime tant ; jamais on n’aime mieux ;
Peut-être que nos morts ont pour bonheur suprême
Un éternel retour au pays des aïeux !
 
Ainsi dans l’inconnu je perdais ma pensée ;
Cependant le vaisseau s’arrêtait mollement ;
Et, pour fixer enfin sa halte balancée,
L’ancre se décrocha sur un commandement.
 
Un cri part : masse lourde, elle tombe, et sur elle
La vague qui s’ouvrit n’est pas fermée encore
Qu’un rejaillissement de lumière étincelle,
Et la mer jette au ciel des nacres et de l’or.
 
Un trait de flamme luit dans les mâtures lisses,
Et l’on voit resplendir au jour occidental
Tout l’enchevêtrement des agrès et des drisses.
Puis le navire éteint ses reflets de métal.
 
Adieu les vergues d’or et la pourpre des voiles !
Le jour meurt, regretté des marins revenus,
Et nous dormons sur l’onde, où baignent les étoiles,
Dans la sécurité des horizons connus.

Les Poèmes de Provence (1874)

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