Jean Aicard

Les seuils.

Les soirs d’été, sous les mûriers où l’on s’attable
On reste après souper, l’air étant délectable,
Pour oublier l’ardeur et les travaux du jour.
La fillette et le gars qui se parlent d’amour,
Assis auprès du seuil sur le vieux banc de pierre,
Échangent par instants (on est là sans lumière)
Un baiser bien furtif qui fait, si bref qu’il soit,
Se retourner l’aïeul indulgent dont le doigt
Bourre distraitement la pipe accoutumée.
Le gars en badinant pince la bien-aimée
Qui lui dit : « J’ai les bras tout bleus ! » Mais lui : « Voyons ? »
Les cigales des clairs de lune (les grillons)
Jettent leur bruit d’élytre à la lune opaline
Qu’à demi cache encore le haut de la colline.
La chaleur du soleil dont tout s’est pénétré
S’exhale, et par moment vient un souffle altéré
Qui fait bouffer un peu les chemises de toile.
Parfois les amoureux se montrent une étoile.
Qu’un voisin attardé passe, il leur dit : « Bonsoir,
Vous prenez donc le frais !—Oui, l’ami, viens t’asseoir. »
Il s’assied et l’on trinque. Ô souffles, ô murmures !
Le ciel tout constellé brille sous les ramures,
Et les paysans, l’œil aux astres, pipe en main,
Songent silencieux au soleil de demain.

Les Poèmes de Provence (1874)

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