Jean Aicard

Le puits.

L’été hurle de soif ; la terre ardente éclate.
Le lézard bâille et dort sous le pampre écarlate.
Le chaume craque, l’ombre est nette sur le sol,
Et, pour s’y reposer des chansons et du vol,
L’alouette choisit une vigne encore verte.
Les oliviers au loin dans la plaine déserte,
Projetant à leur pied des ombres sans fraîcheur,
Fatiguent le regard de leur terne blancheur.
Pas d’eau ; le soleil d’août l’a toute bue. Ô source !
Ô graviers, ô cressons ! ô halte après la course !
Est-ce qu’ici jamais on vous retrouvera,
Oasis qu’on rencontre au fond du Sahara ?
Soudain le puits surgit, non le puits de l’idylle
Où l’on peut voir un pan du ciel bleu, dit Virgile,
Mais le puits supportant un dôme sur son mur,
Dont la porte-fenêtre est close, puits obscur
D’où lorsqu’il est ouvert sort une fraîcheur douce,
Mais à l’extérieur sec, sans ombre et sans mousse.
On dirait un monceau de grès entassés là,
Effrités par le dur soleil qui les brûla,
Et qu’en poudre réduit l’âpreté des solstices.
La tarente aux yeux gris court dans les interstices.
Seulement, l’olivier voisin se fait plus beau,
Ou parfois, éploré comme sur un tombeau,
Immobile et muet, un saule auprès verdoie.
Parfois c’est le mûrier dont la racine, ô joie !
Atteint l’eau fraîche et qui la sent monter en lui.
Or, autour des puits clos le jour darde l’ennui ;
Le passant altéré qu’affole un ciel de flamme
Songe au mot qui ferait ouvrir cette Sésame
Et, comme un envieux épiant un trésor,
Pense à la grosse clef de fer aux rouilles d’or.
 
Si tu restais ici, lorsque le jour s’apaise,
Quand le sol brunissant perd ses chaleurs de braise,
Quand les souffles du soir circulent lents et frais,
Si tu restais ici, sans doute tu verrais
Leste, en jupon rayé, la jeune paysanne
Qui vient emplir sa cruche ou faire boire l’âne.
Le jeune gars la suit. Ils ouvrent le puits noir
D’où sort un air humide et plus frais que le soir.
 
Le jeune homme est alerte et la fille est jolie ;
Tous deux tirent le seau dont grince la poulie.
Le seau monte, apparaît, oscillant, renversant
Son eau qui rejaillit en les éclaboussant,
Absorbée aussitôt par la margelle sèche ;
Et l’âne ou le mulet, impatient d’eau fraîche,
Piaffe et renâcle.—« L’auge est vide. Encore, allons ! »
La fille rit. Le gars tire, ayant les bras longs,
En un clin d’œil, le vieux seau de bois où l’eau tremble.
L’âne va donc enfin boire, à ce qu’il lui semble.
Mais le gars tient le seau qu’il agite à dessein,
Et la fille croisant ses deux bras sur son sein,
Pour se garder de l’eau qui ridée étincelle,
Approche et tous les deux rient du seau qui ruisselle
Et de cette fraîcheur du soir autour des puits
Commencement exquis du bon repos des nuits.
Et, tandis qu’il essaie, ô nuit naissante, ô lune !
D’effleurer d’un baiser la chevelure brune,
La belle enfant trempant ses lèvres à fleur d’eau
Se penche avec lenteur et boit comme un oiseau.

Les Poèmes de Provence (1874)

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