Jean Aicard

Le mal du pays.

« On sait mieux le français au pays de la neige :
Éloignons cet enfant de nous, se dirent-ils ;
Il faut que les garçons apprennent les exils. »
Et l’on m’envoya loin, à Mâcon, au collège.
 
Oh ! comme je pleurais là-bas, pauvre petit !
Mes compagnons de classe en ont gardé mémoire,
Et ceux qui m’ont revu m’en ont redit l’histoire :
Plus de gaîtés d’enfant, de jeux ni d’appétit.
 
Et mes grands yeux encore agrandis par la fièvre
Poursuivaient fixement le songe du retour ;
Je mourais d’un regret de soleil et d’amour ;
Les lettres du pays ne quittaient plus ma lèvre.
 
Pourtant les bois sont beaux où l’on allait courir,
Mais est-ce la beauté que, si petit, l’on aime ?
Et je me repliais, frissonnant, sur moi-même
Comme un oiseau blessé se blottit pour mourir.
 
Voulant m’ôter du cœur la Provence lointaine,
Des mères par pitié m’embrassaient quelquefois ;
Leur baiser m’était doux, mais j’entendais leur voix :
Quel accent étranger m’eût guéri de ma peine ?
 
Ô seuils hospitaliers, merci !... je me souviens !
Je vis alors Saint-Point (où la Muse en deuil pleure),
Et j’écoutai, séchant mes larmes pour une heure,
Lamartine indulgent qui me nommait ses chiens.
 
Mais ni le châtelain, dont je savais la gloire,
Ni les dames m’offrant les gâteaux et le miel,
Ni tant d’amis nouveaux n’effacèrent ton ciel,
Provence, de mon cœur tout plein de ta mémoire.
 
Les êtres m’étaient bons ; mais les choses, les lieux
Ne me souhaitaient pas la douce bienvenue,
Et je voyais, craintif, sur leur face inconnue,
Comme une indifférence errante dans des yeux.
 
Oui, je me comprenais indifférent aux choses,
Car leur face a des yeux, leur silence a des voix ;
Et c’est ce qui fait peur aux enfants dans les bois :
Ils devinent dans tout des paupières écloses.
 
Chez nous, je ne craignais ni le roc endormi,
Ni l’antre plein d’échos, ni la falaise amère ;
La terre, m’accueillant comme une bonne mère,
Disait aux bois émus : C’est le petit ami !
 
La nature m’aimait là-bas, m’ayant vu naître,
Car les faibles sont siens des nids jusqu’aux berceaux.
Elle me supportait comme un de ses oiseaux ;
Mais la nature ici ne pouvait me connaître.
 
Et même à la cité, toits aigus des maisons,
Pavé sombre et murs noirs, rien n’avait de tendresse.
Je tournais mes regards vers le midi sans cesse,
Mais la pluie à longs traits barrait les horizons.
 
Oh ! pensais-je, palmiers, aloès, plantes grasses !
Quand vous verrai-je encor, doux hiver, âpre été,
Murs tout blancs de poussière ardente et de clarté,
Et vous, toits du pays faits comme des terrasses ?
 
« Ah ! rien ne m’aime ici, je suis comme perdu ! »
Si ce cri m’échappait on me fermait la bouche ;
Mais, les soirs, grelottant dans mon étroite couche,
Je me livrais sans fin au regret défendu.
 
Je voyais tour à tour les départs, l’arrivée,
Et toujours mon grand-père était devant mes yeux,
Assis près du portail, prolongeant les adieux,
Me saluant au loin de sa canne levée.
 
Il fallut m’emporter en Provence, un beau jour,
Ce rêve intérieur m’ayant consumé l’âme...
Le soleil ralluma ma vie avec sa flamme :
Ô souvenir sacré, ce moment du retour !
 
J’avançais et les pins, les collines natales,
Vite me racontaient tout mon petit passé :
« J’avais fait une chute au bord de ce fossé ;
Là j’avais pris un nid, et plus loin des cigales. »
 
Au fils devenu grand, longtemps abandonné,
La mère conte ainsi son enfance première :
Un amour maternel était dans la lumière,
Quand je revis enfin la terre où je suis né.

Les Poèmes de Provence (1874)

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