Jean Aicard

La leçon de lecture.

« Monsieur Jean, vous lirez l’alphabet aujourd’hui. »
J’entends encore ce mot qui faisait mon ennui.
J’avais six ans, j’aimais les beaux livres d’images,
Mais suivre ces longs traits qui noircissent des pages,
Ce n’était point ma joie et je ne voulais pas.
Pourtant, quand je voyais un peu d’écrit au bas
Des villes, des bateaux, des ciels aux blanches nues,
J’étais impatient des lettres mal connues,
Qui m’auraient dit le nom des choses et des lieux.
Savoir est amusant, apprendre est ennuyeux :
J’aurais voulu savoir et ne jamais apprendre.
Et lorsqu’on me parlait d’alphabet, sans attendre
Qu’on eût trouvé le livre effrayant, j’étais loin !
Où ? Qui le sait ? L’enclos a plus d’un petit coin
Où, parmi le fenouil, le romarin, la mauve,
Un enfant peut guetter l’insecte qui se sauve,
Et se sentir perdu comme en une forêt ;
J’étais là, prêt à fuir dès que l’on m’y verrait.
Quand surgissait enfin l’aïeul avec son livre,
Je glissais par des trous où nul n’eût pu me suivre,
Et... cherche, bon grand-père, où l’enfant est niché !
Un jour on me trouva dans un figuier perché ;
Un autre jour, prenant au bon moment la porte,
J’entrai dans les grands blés du champ voisin, de sorte
Que j’entendis ces mots derrière notre mur :
« Il n’a pas pu sortir !—En êtes-vous bien sûr ?
—Certes ! le portail sonne et la muraille coupe, »
« Et grand-père ajoutait : Je l’attends à la soupe ! »
 
Comme l’oiseau privé fuit, mais retourne au grain,
Il fallait revenir, le soir, d’un ton chagrin
Dire à mon grand-papa : « Demain, je serai sage ! »
Un jour : « Monsieur l’oiseau, je vais vous mettre en cage,
Dit le bon vieux sévère, et vous n’en sortirez
Qu’après avoir bien lu...—Mais, mon grand-père !—Entrez ! »
J’étais pris par le bras comme un oiseau par l’aile ;
Nos poules dans l’enclos piquaient l’herbe nouvelle :
Leur cabane était vide ; on m’y fit entrer seul,
Et le livre s’ouvrit dans les mains de l’aïeul !
Plus d’une fois, les gens qui venaient en visite
Me virent à travers la barrière maudite,
Et tous riaient, disant : « Ah ! le petit vaurien ! »
Ou : « Le joli pinson ! et comme il chante bien ! »
C’est qu’appuyant mon front aux losanges des grilles,
Il fallait tout nommer, lettres, accents, cédilles,
Sans faute, et la prison me fut bonne en effet,
Car pour vite en sortir que n’aurais-je pas fait !

Les Poèmes de Provence (1874)

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