Jean Aicard

À Victor de Laprade.

Devant les flots heureux qui baignent les rivages
De la douce Provence où vous passiez un jour,
Vous avez accordé votre lyre, et ces plages
Nous redisent sans fin l’hymne de votre amour !
 
Au foyer maternel, après un an d’absence,
Libre écolier, j’allais fêter ma liberté ;
Sur les bords de la mer, dans toute ma Provence,
J’entendis votre chant par les cœurs répété.
 
Je vis s’épanouir vos vers pleins d’harmonie :
Je moissonnai ces fleurs, et je partis encore ;
J’emportais un écho de la mer infinie ;
J’emportais un parfum : j’ai gardé ce trésor.
 
Ah ! puisque vous aimez cette rive fleurie
Où le poète ému se sent plus près de Dieu ;
Puisque vous la chantez et qu’elle est ma patrie,
Que votre âme s’allume à son beau ciel en feu ;
 
Puisque vous désirez vivre, mourir peut-être,
Aux lieux dont votre amour vous a nommé l’enfant,
Poète, permettez ; permettez, ô mon maître,
Que je vienne, exilé, vous parler un instant !
 
Ô fils de mon pays, veuillez être mon frère ;
Mes yeux, jadis riants, de larmes sont noyés :
Je pleure mon exil en songeant à ma mère,
Et j’apporte mon cœur débordant à vos pieds !
 
Bien des fois vous avez consolé ma souffrance,
Et je vous ai béni, poète, bien des fois,
Car vous me ramenez, tressaillant d’espérance,
Au bord de mes flots bleus, au fond de vos grands bois !
 
Vous donnez pour le ciel des ailes à mon âme ;
En chantant la Justice et le Droit, ô penseur,
De mes espoirs éteints vous rallumez la flamme...
L’enfant même a souvent le doute au fond du cœur !
 
Quand la hache sonore ébranle le vieux chêne,
Je gémis avec vous sur son funeste sort ;
Si je songe avec joie à notre vie humaine,
Vous me faites comprendre et célébrer la mort !
 
Pour toutes mes douleurs vous avez une larme,
Un mot qui me pénètre, un mot harmonieux ;
Votre luth murmurant répand un divin charme,
Et le sourire aux pleurs se mêle dans mes yeux !
 
Le poète est toujours sensible à la parole
D’un cœur reconnaissant qui lui dit : Oh ! merci,
Chanteur, homme sacré dont la voix me console,
Laissez-moi vous aimer et vous le dire aussi.
 
Laissez-moi vous aimer : vous chantez la Nature ;
Des vents dans les forêts vous notez les concerts,
Et vous en traduisez l’ineffable murmure ;
Dieu, comme le soleil, resplendit en vos vers !
 
Laissez-moi vous aimer : de ma chère patrie
Nous avez fait plus doux le nom mélodieux ;
On comprend, aux accents de votre âme attendrie,
Que votre muse, au front étoilé, vient des cieux !
 
Votre muse est un ange au manteau de lumière,
Un esprit couronné d’éternelles clartés ;
Votre Génie, ô fils pieux, c’est votre mère :
Son luth est votre cœur ; il vibre, et vous chantez !

Les jeunes croyances (1867)

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