Jacques Prévert

Histoire du cheval

Braves gens écoutez ma complainte
 
écoutez l’histoire de ma vie
 
c’est un orphelin qui vous parle
 
qui vous raconte ses petits ennuis
 
hue donc...
 
Un jour un général
 
ou bien c’était une nuit
 
un général eut dono
 
deux chevaux tués sous lui
 
ces deux chevaux c’étaient
 
hue donc...
 
que la vie est amère
 
c’étaient mon pauvre père
 
et puis ma pauvre mère
 
qui s’étaient cachés sous le lit
 
sous le lit du général qui
 
qui s’était caché à l’arrière
 
dans une petite ville du
Midi.
 
Le général parlait
 
parlait tout seul la nuit
 
parlait en général de ses petits ennuis
 
et c’est comme ça que mon père
 
et c’est comme ça que ma mère
 
hue donc...
 
une nuit sont morts d’ennui.
 
Pour moi la vie de famille était déjà finie
 
sortant de la table de nuit
 
au grand galop je m’enfuis
 
je m’enfuis vers la gTande ville
 
où tout brille et tout luit
 
en moto j’arrive à
Sabi en
Paro
 
excusez-moi je parle cheval
 
un matin j’arrive à
Paris en sabots
 
je demande à voir le lion
 
le roi des animaux
 
je reçois un coup de brancard
 
sur le coin du naseau
 
car il y avait la guerre
 
la guerre qui continuait
 
on me colle des œillères
 
me
Vlà mobilisé
 
et comme il y avait la guerre
 
la guerre qui continuait
 
la vie devenait chère
 
les vivres diminuaient
 
et plus ils diminuaient
 
plus les gens me regardaient
 
avec un drôle de regard
 
et les dents qui claquaient
 
ils m’appelaient beefsteak
 
je croyais que c’était de l’anglais
 
hue donc...
 
tous ceux qu’étaient vivants
 
et qui me caressaient
 
attendaient que j’ sois mort
 
pour pouvoir me bouffer.
 
Une nuit dans l’écurie
 
une nuit où je dormais
 
j’entends un drôle de bruit
 
une voix que je connais
 
 
 
c’était le vieux général
 
le vieux général qui revenait
 
qui revenait comme un revenant
 
avec un vieux commandant
 
et ils croyaient que je dormais
 
et ils parlaient très doucement.
 
Assez assez de riz à l’eau
 
nous voulons manger de l’animau
 
y a qu’à lui mettre dans son avoine
 
des aiguilles de phono.
 
Alors mon sang ne fit qu’un tour
 
comme un tour de chevaux de bois
 
et sortant de l’écurie
 
je m’enfuis dans les bois.
 
Maintenant la guerre est finie
 
et le vieux général est mort
 
est mort dans son lit
 
mort de sa belle mort
 
mais moi je suis vivant et c’est le principal
 
bonsoir
 
bonne nuit
 
bon appétit mon général.
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