Henri Durand

Le sommeil du printemps.

Mère, ouvre le rideau ! le soleil qui se lève
Vient jeter sur mon lit ses rayons éclatants.
Ce jour vient de ma nuit chasser le mauvais rêve,
Il fait si doux, si pur un matin de printemps !
 
On voit les monts neigeux par-dessus les charmilles ;
Mais la vigne, le pré commence à verdoyer ;
Hier au soir j’entendais chanter les jeunes filles
Sous l’ombrage naissant de notre grand noyer.
 
La sève du printemps, qui redresse les branches,
Monte dans le jeune arbre et dans le vieux aussi ;
Je vois lever la tête aux marguerites blanches.
Un souffle frais et sain m’arrive jusqu’ici.
 
Jusqu’ici Mais dehors, il fait plus beau, ma mère !
Heureux qui peut marcher quelques pas sans souffrir !
L’an dernier, je t’allais cueillir la primevère ;
Près du ruisseau, je gage, elle est prête à fleurir.
 
Aurait-on cru jamais que d’un printemps à l’autre
On pût ainsi changer ? Comme tout était beau !
Je plantais de mes fleurs mon jardin et le vôtre...
Bientôt vous planterez vos fleurs sur mon tombeau !—
 
Puisqu’il est pour l’année encore une jeunesse,
Pour ma vie, oh ! pourquoi n’est-il plus de printemps ?
Ce qui devait mûrir de joie et de tendresse,
Faut-il que sans germer il étouffe au-dedans ?
 
Ce doux matin !—pourtant c’est le dernier peut-être
Dont je vois ici-bas le lever triomphal...
Ma mère, au nom de Dieu, fermez cette fenêtre ;
Le printemps, le soleil, les fleurs, tout me fait mal !
 
Qu’a donc cette hirondelle à chanter si joyeuse
Sous ce malheureux toit où je plains et gémis ?
Qu’il fait froid, qu’il fait chaud sur ma couche fiévreuse !...
S’ils viennent pour me voir, renvoyez mes amis !...
 
Combien est dur, hélas ! tout ce qui vous rappelle
Qu’on est jeune et qu’on meurt ! Peut-être que l’on croit
Ma douleur consolable ;—on la croit peu réelle ;
A consoler les morts les vivants n’ont pas droit.
 
Oh ! ne te cache pas, toi, bonne mère ; pleure,
Pleure et prie avec moi ! quand ce printemps béni
Réveille tout, comment ce peut-il être l’heure
De m’endormir déjà ? Déjà Dieu ! tout fini !...
 
Non, tout n’est pas fini, frère, bonne espérance !
Béni soit ton sommeil qui vient tarir nos pleurs !
Non, tout n’est pas fini, ce printemps qui commence,
C’est celui dont juillet ne flétrit pas les fleurs ;
 
Celui dont les oiseaux ont à chanter sans cesse,
Où coule des jours purs le ruisseau sans écarts,
Le printemps éternel, l’éternelle jeunesse !...
—Heureux qui de l’automne ignore les brouillards !

Poésies complètes (1858)

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