Au soleil de midi le haut glacier rayonne ;
Un nuage léger court sur ses flots blanchis,
Et drape le sommet qui forme sa couronne.
Sans plus se soucier des rocs qu’elle a franchis,
Sur la neige marchant, par des pentes moins rudes,
Une femme gravit ces froides solitudes.
Elle a vingt ans au plus ; vingt ans et seule ainsi !
Il faut pour ces déserts qu’elle ait l’âme bien forte ;
Pour que son jeune pied l’élève jusqu’ici,
Il faut que bien puissant soit l’amour qui la porte.
Parfois elle s’arrête, et son muet regard
Parcourt les blancs gradins jusque sous le brouillard ;
Ou bien, de la hauteur se tournant, elle jette
Le cri du montagnard, ce cri long et perçant,
Que seul le pâtre sait, que le rocher répète,
Et qui de monts en monts vole en s’affaiblissant.
Son cœur paraît attendre une voix qui réponde,
Mais l’écho répond seul de sa voûte profonde.
Elle reprend sa marche alors plus tristement,
On dirait qu’en son cœur pâlit une espérance :
—Joseph, dit-elle, hélas ! était-ce le moment
De m’affliger le cœur d’une si longue absence ?
Quand à peine deux mois consacraient nos amours,
Te voilà sur les monts fuyant depuis huit jours.
Maudit soit le chamois dont la course t’entraîne !...
(D’un noir penser soudain son esprit fut troublé.)
—Non, non ! il ne se peut, la saison est sereine,
Sur le glacier jamais le pied ne t’a tremblé ;
Allons ! sans doute avant que le jour ne s’efface,
Mon chasseur fugitif, nous serons sur ta trace !
Cependant le chemin se montre à chaque pas
Plus rebelle à son pied ; vers le sommet aride
La pente se roidit, tandis que vers le bas
La même pente fuit, et manque dans le vide
Où l’œil en s’abaissant plonge, d’effroi surpris,
Dans le lac noir qui dort au milieu des débris.
Sur le gouffre à ses pieds l’affreux corbeau voltige,
La femme du chasseur pourtant ne frémit pas ;
De son aile de mort le tournoyant vertige
N’effleure pas son front ; rien n’arrête son pas ;
Sur un bâton de pin légère elle s’appuie,
Et va, sans redouter la crevasse ennemie.
Mais pourquoi tout à coup s’arrête-t-elle ainsi ?
Quelques gouttes de sang se suivent sur la glace ;
—Je l’avais bien prévu, dit-elle, c’est ici !
Notre chasseur a dû passer à cette place ;
Son chamois est blessé, ce sang en est témoin.
Holà, Joseph !—d’ici sans doute il n’est pas loin.
Elle regarde autour... Que le ciel la protège !
Plus bas elle découvre, autre témoin de mort,
Un fusil bien connu qui gît, seul, sur la neige
Non loin d’une crevasse ; et, sur ce même bord,
D’un large pas ferré la trace encore glissante
Indique avec l’abîme une lutte impuissante.
Si par un jour d’été, sur vous, dans le chemin,
S’élançait à grands bonds l’avalanche imprévue,
Si la foudre à vos pieds tombait d’un ciel serein,
A peine sauriez-vous le cri que cette vue
Arracha tout à coup d’un cœur désespéré,
Et combien son accent fut sombre et déchiré.
Elle se penche alors sur cette tombe ouverte,
Son œil plonge éperdu dans l’abîme sans voix ;
Tremblante, et seule ainsi sur la neige déserte,
Elle jette ce nom, nom si doux autrefois,
Au gouffre replié qui dans l’ombre s’enfonce ;...
Mais la tombe de glace est sourde et sans réponse.
La mort paraît encore plus rude, à ces hauteurs ;
Sur tout ce qu’engloutit le glacier implacable,
N’interrogez jamais ses mornes profondeurs !
Pauvre femme ! comment, sous le coup qui t’accable,
Sur cette pente encore peux-tu te retenir ?
Le jour fuit ;... sans secours, que vas-tu devenir ?
Car, tandis qu’à genoux, dans le ciel ou l’abîme,
Elle lit tour à tour le même désespoir,
Les derniers feux rosés ont pâli sur la cime.
Dans l’ombre qui partout descend avec le soir,
Comme dans un linceul s’étend déjà la plaine ;
Et la nuit sur les monts répand sa froide haleine.
Au matin, quand le jour parut à l’horizon ;
Quand, ainsi qu’un essaim, s’éveilla la campagne,
Le plus brillant soleil de la belle saison
Réveilla tout, le ciel, la plaine et la montagne,
Mais ne put réchauffer, sur le glacé désert,
Ce corps qui dormait seul près d’un gouffre entr’ouvert.