Henri Durand

Amour.

Quand il se fait bien tard, et que malgré la nuit
Je promène incertain ma fiévreuse insomnie,
Tâchant de ramener le sommeil qui me fuit,
Oh ! pourquoi suis-je donc fatigué de ma vie ?
 
Lorsque vers cet asile où tranquille elle dort,
J’erre comme entraîné par de magiques charmes,
Pour mes sens égarés ce lieu semble être un port ;
Près d’elle seulement sont plus douces mes larmes.
 
Oh ! dites-moi pourquoi je désire en mon cœur
Quelque chose de plus, quand je sais qu’elle m’aime
Et qu’elle brûle aussi de cette même ardeur
             Dont je brûle moi-même ?
 
Dites-moi, savez-vous ? Pendant les belles nuits,
Alors que dort le flot où se mire l’étoile,
Que sur l’onde et dans l’air se taisent tous les bruits,
   Et que la nuit nous couvre de son voile ;
 
Oh ! savez-vous pourquoi, pressant, baisant ses mains,
Assis à ses genoux je pleure ainsi près d’elle,
Quand nous sommes bien seuls, loin de tous les humains,
   Et que son souffle à mon souffle se mêle ?
 
Et d’autres fois encore, près de la vieille tour,
Quand sur le ciel bien noir s’amassent les nuages,
Et que, nous confiant dans notre double amour,
Nous écoutons gronder et passer les orages ;
 
Oh ! dites-moi pourquoi s’appuyant sur mon cœur,
Soupire et tremble ainsi sa poitrine adorée ?
Pourtant, pour apaiser notre soif de bonheur,
Nous avons notre amour, coupe à peine effleurée.
 
Oh ! dites, savez-vous ? Quand au fond des grands bois
Nous allons nous bercer de notre rêverie,
Et que du rossignol chante la douce voix
Ou celle du ruisseau coulant dans la prairie ;
 
Quand je lis tout son cœur dans l’azur de ses yeux,
Pourquoi d’autres désirs naissent-ils dans mon âme ?
Pourquoi donc mes regards, se tournant vers les cieux,
Semblent-ils demander encore une autre flamme ?
 
Je devrais être heureux, et voici, je soupire ;
Je pleure, je me plais à nourrir en mon sein
Une triste pensée, et tout mon cœur aspire
Vers un amour encore plus céleste et plus saint.
 
Elle aussi, cette amante et si pure et si tendre,
Elle que j’aime tant ;—hélas ! combien de fois
Je crus la voir trembler, ou bien je crus entendre
Des soupirs et des pleurs se mêler à sa voix !
 
C’est qu’ici-bas toujours la cruelle souffrance
Accompagne l’amour, que seulement aux cieux,
Vers lesquels nous tendons, guidés par l’espérance,
                 Aimer, c’est être heureux.
 
Oh ! c’est que notre amour n’est pas fidèle image
De cet amour divin que demandent nos pleurs.
C’est qu’aussi notre cœur s’épuise avec notre âge,
Que chaque jour, chaque heure apporte des douleurs.
 
C’est que je l’aime trop, que même je t’adore,
Qu’elle est tout mon espoir, l’objet de tous mes vœux.
   Voilà pourquoi mon âme pleure encore,
   Pourquoi je souffre et je suis malheureux.
 
Si notre cœur pouvait, perçant l’obscurité,
S’élever jusqu’à Dieu malgré l’immensité ;
Si nous pouvions l’aimer ainsi que l’aime l’ange,
Alors nous goûterions un bonheur sans mélange ;
 
Car l’amour éternel doit n’être qu’à celui
Qui dominant des temps la sombre et vaste nuit,
Commandant l’infini, cette mer sans rivages,
   Fut notre Dieu, même avant tous les âges.

Poésies complètes (1858)

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