Henri Durand

A Mesdemoiselles.

Eh quoi ! pour vous ma voix trop peu docile
Essaie en vain un chant naïf et doux !
L’essor pourtant lui doit être facile,
Lorsque son vol le pousse ainsi vers vous.
Joyeux essaim qui, murmurant, t’éveilles !
Ah ! si l’été déployait ses couleurs,
Je chanterais :—Comme aux jeunes abeilles,
A vous, à vous les parfums et les fleurs !
 
Mais maintenant, quand la bise soupire,
Qu’au loin blanchit la campagne en repos,
Aucune fleur ne vient plus nous sourire,
Et l’hiver seul fleurit à nos vitraux.
Je sais pourtant la retraite choisie
Où l’on rencontre, en dépit des rigueurs,
Fleurs de beauté, parfum de poésie ;
A vous, à vous les parfums et les fleurs.
 
Courage aussi ! jeunes, nobles compagnes !
Sur notre sol bordé par les ravins,
Dans les jardins qu’on nomme nos campagnes,
Fleurit encore l’arbre des chants divins.
A mourir tôt, ses fleurs, dit-on, sont bonnes,
Sous les lauriers ont coulé bien des pleurs ;
Mais on en fait de sublimes couronnes,
A vous, à vous les parfums et les fleurs.
 
Oh ! dans ces jours où l’on voit l’innocence
Courber sa fleur flétrie au premier vent,
Où vers le ciel la triste adolescence
Voit s’envoler son espoir décevant,
Ne laissez pas faner dans la poussière
Le frais éclat, la paix des jeunes cœurs,
Gardez le miel d’amour et de prière,—
A vous, à vous les parfums et les fleurs !
 
Puis, lorsqu’un jour, sentant frémir vos ailes,
Vous répondrez à l’appel de l’airain,
Adieu la terre !—abeilles immortelles,
Vous volerez vers le céleste essaim.
C’est là, c’est là, printemps, jeunesse, aurore !
Qu’en souriant nous essuierons nos pleurs ;
Que, réunis, nous trouverons encore
D’autres parfums cueillis sur d’autres fleurs.

Poésies complètes (1858)

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