Henri Durand

A mes amis.

Quand parmi vous d’une voix inhabile
Je m’essayai dans la langue des vers,
Quand je voulus, de son divin asile
Evoquer l’ange aux saints et doux concerts
A mes refrains vous avez dit : « Courage,
Charme longtemps la route où nous passons ! »
Ô mes amis ! béni soit le présage ;
Pour vous encore j’aurai bien des chansons.
 
Liens sacrés d’une chère famille
Que la jeunesse, hélas ! voit se briser ;
Soupirs rêveurs que tendre jeune fille
Pouvait jadis d’un regard apaiser ;
Echos bruyants de nos longues soirées
Où l’amitié nous chante ses leçons ;
Du souvenir vos images parées
Pourront un jour renaître à mes chansons.
 
Haut montagnard, j’essayai sur la cime
Des chants hardis que dispersaient les airs ;
Près du chalet, abri doux et sublime,
Je réveillai l’écho des rocs déserts ;
Ma voix s’est jointe à cette fraîche haleine
Dont sur nos flots le soir nous nous berçons ;
Sous ce beau ciel, et des monts à la plaine,
Je veux encore promener mes chansons.
 
Ô mon pays ! avec ta noble histoire,
Repose-toi dans tes vallons cachés.
Nous seuls savons les fleurons de ta gloire
Que le malheur ne t’a point arrachés.
Des fleurs des monts tu tresses ta couronne,
Que ne flétrit le vent ni les saisons ;
Moi, pour l’amour que chaque fils te donne,
Je veux au moins te vouer mes chansons.
 
Vers l’horizon d’où le soleil se lève,
Ne voyez-vous rien poindre dans les cieux ?
Amis, amis ! ce n’est point un vain rêve,
Le jour approche, il sera glorieux.
Saint avenir ! pour toi dans les campagnes
Lèvent déjà d’éclatantes moissons ;
Je veux au moins, du haut de nos montagnes,
Te saluer de mes humbles chansons.

Poésies complètes (1858)

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