François de Malherbe

Stances sur la mort de Henri Le Grand

           Au nom du duc de Bellegarde.
 
                               1610.
 
 
Enfin l’ire du ciel et sa fatale envie,
Dont j’avais repoussé tant d’injustes efforts,
Ont détruit ma fortune, et, sans m’ôter la vie,
             M’ont mis entre les morts.
 
Henri, ce grand Henri, que les soins de nature
Avaient fait un miracle aux yeux de l’univers,
Comme un homme vulgaire est dans la sépulture
             À la merci des vers.
 
Belle âme, beau patron des célestes ouvrages,
Qui fus de mon espoir l’infaillible recours,
Quelle nuit fut pareille aux funestes ombrages
             Où tu laisses mes jours ?
 
C’est bien à tout le monde une commune plaie,
Et le malheur que j’ai chacun l’estime sien :
Mais en quel autre cœur est la douleur si vraie
             Comme elle est dans le mien ?
 
Ta fidèle compagne, aspirant à la gloire
Que son affliction ne se puisse imiter,
Seule de cet ennui me débat la victoire,
             Et me la fait quitter.
 
L’image de ses pleurs, dont la source féconde
Jamais depuis ta mort ses vaisseaux n’a taris,
C’est la Seine en fureur qui déborde son onde
             Sur les quais de Paris.
 
Nulle heure de beau temps ses orages n’essuie,
Et sa grâce divine endure en ce tourment
Ce qu’endure une fleur que la bise ou la pluie
             Bat excessivement.
 
Quiconque approche d’elle a part à son martyre,
Et par contagion prend sa triste couleur ;
Car, pour la consoler, que lui saurait-on dire
             En si juste douleur ?
 
Reviens la voir, grande âme ; ôte-lui cette nue
Dont la sombre épaisseur aveugle sa raison ;
Et fais du même lieu d’où sa peine est venue
             Venir sa guérison.
 
Bien que tout réconfort lui soit une amertume
Avec quelque douceur qu’il lui soit présenté,
Elle prendra le tien, et, selon sa coutume,
             Suivra ta volonté.
 
Quelque soir en sa chambre apparais devant elle,
Non le sang à la bouche et le visage blanc,
Comme tu demeuras sous l’atteinte mortelle
             Qui te perça le flanc :
 
Viens-y tel que tu fus, quand aux monts de Savoie
Hymen en robe d’or te la vint amener ;
Ou tel qu’à Saint-Denis, entre nos cris de joie,
             Tu la fis couronner.
 
Après cet essai fait, s’il demeure inutile,
Je ne connais plus rien qui la puisse toucher ;
Et sans doute la France aura comme Sipyle
             Quelque fameux rocher.
 
Pour moi, dont la faiblesse à l’orage succombe,
Quand mon heure abattu pourrait se redresser,
J’ai mis avecque toi mes desseins en la tombe ;
             Je les y veux laisser.
 
Quoi que pour m’obliger fasse la destinée,
Et quelque heureux succès qui me puisse arriver,
Je n’attends mon repos qu’en l’heureuse journée
             Où je t’irai trouver.
 
Ainsi, de cette cour l’honneur et la merveille,
Alcippe soupirait, prêt à s’évanouir.
On l’aurait consolé ; mais il ferma l’oreille,
             De peur de rien ouïr.

Poésies livre II

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