Pour Henri le Grand, sur la dernière
absence de la princesse de Condé.
1609.
Que n’êtes-vous lassées,
Mes tristes pensées,
De troubler ma raison,
Et faire avecque blâme
Rebeller mon âme
Contre ma guérison !
Que ne cessent mes larmes,
Inutiles armes !
Et que n’ôte des cieux
La fatale ordonnance
À ma souvenance
Ce qu’elle ôte à mes yeux !
Ô beauté nonpareille,
Ma chère merveille,
Que le rigoureux sort
Dont vous m’êtes ravie
Aimerait ma vie
S’il me donnait la mort !
Quelles pointes de rage
Ne sent mon courage
De voir que le danger,
En vos ans les plus tendres,
Menace vos cendres
D’un cercueil étranger !
Je m’impose silence
En la violence
Que me fait le malheur :
Mais j’accrois mon martyre ;
Et n’oser rien dire
M’est douleur sur douleur.
Aussi suis-je un squelette ;
Et la violette
Qu’un froid hors de saison,
Ou le soc, a touchée,
De ma peau séchée
Est la comparaison.
Dieux, qui les destinées
Les plus obstinées
Tournez de mal en bien,
Après tant de tempêtes
Mes justes requêtes
N’obtiendront-elles rien ?
Ayez-vous eu les titres
D’absolus arbitres
De l’état des mortels
Pour être inexorables
Quand les misérables
Implorent vos autels ?
Mon soin n’est point de faire
En l’autre hémisphère
Voir mes actes guerriers,
Et jusqu’aux bords de l’onde
Où finit le monde
Acquérir des lauriers.
Deux beaux yeux sont l’empire
Pour qui je soupire ;
Sans eux rien ne m’est doux ;
Donnez-moi cette joie
Que je les revoie,
Je suis Dieu comme vous.