François de Malherbe

Aux ombres de Damon

                             FRAGMENT.
 
                             1604.
 
 
                     .     .     .     .     .     .     .     .     .     .     .
 
L’Orne comme autrefois nous reverrait encore,
Ravis de ces pensers que le vulgaire ignore,
Egarer à l’écart nos pas et nos discours,
Et, couchés sur les fleurs comme étoiles semées,
Rendre en si doux ébat les heures consumées,
           Que les soleils nous seraient courts.
 
Mais, ô loi rigoureuse à la race des hommes !
C’est un point arrêté que tout ce que nous sommes,
Issus de pères rois et de pères bergers,
La Parque également sous la tombe nous serre ;
Et les mieux établis au repos de la terre
           N’y sont qu’hôtes et passagers.
 
Tout ce que la grandeur a de vains équipages,
D’habillements de pourpre, et de suite de pages,
Quand le terme est échu n’allonge point nos jours.
Il faut aller tout nus où le destin commande ;
Et de toutes douleurs la douleur la plus grande,
           C’est qu’il faut laisser nos amours :
 
Amours qui, la plupart infidèles et feintes,
Font gloire de manquer à nos cendres éteintes,
Et qui, plus que l’honneur estimant les plaisirs,
Sous le masque trompeur de leurs visages blêmes,
Acte cligne du foudre ! en nos obsèques mêmes
           Conçoivent de nouveaux désirs.
 
Elles savent assez alléguer Artémise,
Disputer du devoir et de la foi promise :
Mais tout ce beau langage est de si peu d’effet,
Qu’à peine en leur grand nombre une seule se treuve
De qui la foi survive, et qui fasse la preuve
           Que ta Carinice te fait.
 
Depuis que tu n’es plus, la campagne déserte
A dessous deux hivers perdu sa robe verte,
Et deux fois le printemps l’a repeinte de fleurs,
Sans que d’aucun discours sa douleur se console,
Et que ni la raison ni le temps qui s’envole
           Puisse faire tarir ses pleurs.
 
Le silence des nuits, l’horreur des cimetières,
De son contentement sont les seules matières ;
Tout ce qui plaît déplaît à son triste penser ;
Et si tous ses appas sont encore en sa face,
C’est que l’Amour y loge, et que rien qu’elle fasse
           N’est capable de l’en chasser.
 
                     .     .     .     .     .     .     .     .     .     .     .
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                     .     .     .     .     .     .     .     .     .     .     .
 
Mais quoi ! c’est un chef-d’œuvre où tout mérite abonde,
Un miracle du ciel, une perle du monde,
Un esprit adorable à tous autres esprits ;
Et nous sommes ingrats d’une telle aventure,
Si nous ne confessons que jamais la nature
           N’a rien fait de semblable prix.
 
J’ai vu maintes beautés à la cour adorées,
Qui, des vœux des amants à l’envi désirées,
Aux plus audacieux ôtaient la liberté :
Mais de les approcher d’une chose si rare,
C’est vouloir que la rose au pavot se compare,
           Et le nuage à la clarté.
 
Celle à qui dans mes vers, sous le nom de Nérée,
J’allais bâtir un temple éternel en durée,
Si sa déloyauté ne l’avait abattu,
Lui peut bien ressembler du front, ou de la joue :
Mais quoi ! puisqu a ma honte il faut que je l’avoue,
           Elle n’a rien de sa vertu.
 
Lame de cette ingrate est une âme de cire,
Matière à toute forme incapable d’élire,
Changeant de passion aussitôt que d’objet ;
Et de la vouloir vaincre avecque des services,
Après qu’on a tout fait, on trouve que ses vices
           Sont de l’essence du sujet.
 
Souvent de tes conseils la prudence fidèle
M’avait sollicité de me séparer d’elle,
Et de m’assujettir à de meilleures lois :
Mais l’aise de la voir avait tant de puissance,
Que cet ombrage faux m’ôtait la connaissance
           Du vrai bien où tu m’appelais.
 
Enfin, après quatre ans, une juste colère
Que le flux de ma peine a trouvé son reflux
Mes sens qu’elle aveuglait ont connu leur offense ;
Je les en ai purgés, et leur ai fait défense
           De me la ramentevoir plus.
 
La femme est une mer aux naufrages fatale ;
Rien ne peut aplanir son humeur inégale ;
Ses flammes d’aujourd’hui seront glaces demain :
Et s’il s’en rencontre une à qui cela n’advienne,
Fais compte, cher esprit, qu’elle a, comme la tienne,
           Quelque chose de plus qu’humain.

Poésies livre II

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