Félix Arvers

Le poète

Qui peut empêcher l’hirondelle,
Quand vient la saison des frimas,
D’aller chercher à tire d’aile
D’autres cieux et d’autres climats ?
Qui peut, lorsque l’heure est venue,
Empêcher au sein de la nue—
Le jour éteint de s’arrêter
Sur les derniers monts qu’il colore ?
L’amant d’aimer, la fleur d’éclore
Et le poète de chanter ?
 
Le transport d’un pieux délire
A lui d’abord s’est révélé,
Et des sons lointains d’une lyre
Son premier rêve fut troublé :
Tel que Janus aux deux visages
Dont l’œil plongeait sur tous les âges,
Le ciel ici-bas l’a placé
Comme un enseignement austère,
Comme un prophète sur la terre
De l’avenir et du passé.
 
Mais hélas ! pour qu’il accomplisse
Sa tâche au terrestre séjour,
Il faudra qu’un nouveau supplice
Vienne l’éprouver chaque jour ;
Que des choses de cette vie
Et de tous ces biens qu’on envie
Il ne connaisse que les pleurs ;
Que brûlé d’une ardeur secrète
Il soit au fond de sa retraite
Visité par tous les malheurs.
 
Il faut que les chants qu’il apporte
Soient repoussés par le mépris ;
Qu’il frappe, et qu’on ferme la porte ;
Qu’il parle et ne soit point compris :
Que nul de lui ne se souvienne,
Que jamais un ami ne vienne
Guider la nuit ses pas errants ;
Qu’il épuise la coupe amère
Qu’il soit renié de sa mère.
Et méconnu de ses parents.
 
Il faut qu’il sache le martyre ;
Il faut qu’il sente le couteau
Levé sur sa tête et qu’on tire
Au sort les parts de son manteau ;
Il faut qu’il sache le naufrage.
Le poète est beau dans l’orage,
Le poète est beau dans les fers ;
Et sa voix est bien plus touchante
Lorsqu’elle est plaintive, et ne chante
Que les malheurs qu’il a soufferts.
 
Il faut qu’il aime, qu’il connaisse
Tout ce qu’on éprouve en aimant,
Et tour à tour meure et renaisse
Dans un étroit embrassement ;
Qu’en ses bras, naïve et sans crainte,
Aux charmes d’une douce étreinte
Une vierge au cœur innocent.
Silencieuse, s’abandonne,
Belle du bonheur qu’elle donne
Et du bonheur qu’elle ressent.
 
Et que bientôt la vierge oublie
Ces transports et ces doux instants ;
Que d’une autre image remplie,
Elle vive heureuse et longtemps ;
Que, si cette amour effacée
Quelque jour s’offre à sa pensée,
Ce soit comme un hôte imprévu.
Comme un rayon pendant l’orage,
Comme un ami du premier âge
Qu’on se ressouvient d’avoir vu.
 
Éprouvé par la destinée.
Il entrevoit des temps meilleurs,
Il sait qu’il doit de sa journée
Recevoir le salaire ailleurs ;
Car loin de tous les yeux profanes,
Un ange aux ailes diaphanes
Vint au milieu de ses ennuis
Lui révéler que cette vie
Doit finir, pour être suivie
De jours qui n’auront pas de nuits.
 
Qu’un autre, épris d’une ardeur sainte,
Les yeux tournés vers l’avenir,
S’élance pour franchir l’enceinte
Qui ne peut plus le contenir :
Qu’il poursuive une renommée
Qui par tout l’univers semée
Retentisse chez nos neveux ;
Mêlée aux tempêtes civiles,
Qu’au seuil des grands, au sein des villes.
Sa voix résonne : moi, je veux
 
Dans le silence et le mystère,
Loin du monde, loin des méchants,
Que l’on m’ignore, et que la terre
Ne sache de moi que mes chants :
A l’œil curieux de l’envie
Soigneux de dérober ma vie
Et la trace de tous mes pas.
Je me sauverai de l’orage ;
Comme ces oiseaux sous l’ombrage,
Qu’on entend et qu’on ne voit pas.

Mes heures perdues (1833)

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