Évariste de Parny

Les paradis

Croyez-moi, l’autre monde est un monde inconnu,
   Où s’égare notre pensée.
D’y voyager sans fruit la mienne s’est lassée :
   Pour toujours j’en suis revenu.
   J’ai vu dans le pays des fables
Les divers paradis qu’imagina l’erreur,
   Il en est bien peu d’agréables ;
Aucun n’a satisfait mon esprit et mon cœur.
   « Vous mourez, nous dit Pythagore ;
Mais sous un autre nom vous renaissez encore,
Et ce globe à jamais par vous est habité. »
Crois-tu nous consoler par ce triste mensonge,
Philosophe imprudent et jadis trop vanté ?
Dans un nouvel ennui ta fable nous replonge.
Mens à notre avantage, ou dis la vérité.
 
   Celui-là mentit avec grâce
Qui créa L’Élysée et les eaux du Léthé.
   Mais dans cet asile enchanté
Pourquoi l’amour heureux n’a-t-il pas une place ?
Aux douces voluptés pourquoi l’a-t-on fermé ?
Du calme et du repos quelquefois on se lasse ;
On ne se lasse point d’aimer et d’être aimé.
 
   Le dieu de la Scandinavie,
   Odin, pour plaire à ses guerriers,
   Leur promettait dans l’autre vie
Des armes, des combats et de nouveaux lauriers.
Attaché dès l’enfance aux drapeaux de Bellonne,
J’honore la valeur, aux braves j’applaudis ;
   Mais je pense qu’en paradis
   Il ne faut plus tuer personne,
Un autre espoir séduit le Nègre infortuné,
Qu’un marchand arracha des déserts de l’Afrique.
   Courbé sous un joug despotique,
Dans un long esclavage il languit enchaîné :
Mais quand la mort propice a fini ses misères,
Il revole joyeux au pays de ses pères,
Et cet heureux retour est suivi d’un repas.
Pour moi, vivant ou mort, je reste sur vos pas.
Esclave fortuné, même après mon trépas,
   Je ne veux plus quitter mon maître.
   Mon paradis ne saurait être
   Aux lieux où vous ne serez pas.
 
   Jadis au milieu des nuages
L’habitant de l’Ecosse avait placé le sien.
Il donnait à son gré le calme ou les orages :
Des mortels vertueux il cherchait l’entretien ;
   Entouré de vapeurs brillantes,
   Couvert d’une robe d’azur,
Il aimait à glisser sous le ciel le plus pur,
Et se montrait souvent sous des formes riantes.
 
   Ce passe-temps est assez doux ;
   Mais de ces Sylphes, entre nous,
   Je ne veux point grossir le nombre.
J’ai quelque répugnance à n’être plus qu’une ombre ;
Une ombre est peu de chose, et les corps valent mieux ;
Gardons-les. Mahomet eut grand soin de nous dire
Que dans son paradis l’on entrait avec eux.
   Des Houris c’est l’heureux empire.
   Là les attraits sont immortels ;
Hébé n’y vieillit point ; la belle Cylhérée,
D’un hommage plus doux constamment honorée,
Y prodigue aux élus des plaisirs éternels.
Mais je voudrais y voir un maître que j’adore,
L’Amour, qui donne seul un charme à nos désirs,
L’Amour, qui donne seul de la grâce aux plaisirs.
Pour le rendre parfait, j’y conduirais encore
   La tranquille et pure Amitié,
Et d’un cœur trop sensible elle aurait la moitié.
   Asile d’une paix profonde,
Ce lieu serait alors le plus beau des séjours ;
   Et ce paradis des amours
Auprès d’Éléonore on le trouve en ce monde.

Poésies érotiques (1778)

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