Charles Le Goffic

Prière à Viviane.

Quand tu m’es apparue au seuil de mon enfance,
Avec tes cheveux d’or et ton geste ingénu,
Déesse, il m’eût semblé que c’était une offense
D’effleurer du regard le bout de ton pied nu.
 
Mais ta voix m’appelait et ta voix est si douce
Qu’elle apaisa ma crainte et que je te suivis.
Ô les âpres sentiers qui couraient dans la brousse !
Ô les longs plateaux noirs que nous avons gravis !
 
Je ne voyais que toi, Déesse. Enfin les astres,
Levant leurs pâles feux dans le soir attardé,
Eclairèrent au loin un pays de désastres
Qui sonnait sous nos pas comme un tombeau vidé.
 
Un grand lac noir dormait au milieu des tourbières,
Et dans l’ombre, partout où j’enfonçais mes doigts,
C’étaient de lourds granits semblables à des bières
Et des troncs d’arbres morts taillés comme des croix.
 
Le sol était jonché de corolles flétries :
Leur âme frêle agonisait sur les coteaux,
Tandis qu’au ras des joncs glissaient dans les prairies
Les tristes oiseaux blancs des ciels occidentaux.
 
Alors, comme en pleurant je te cherchais dans l’ombre,
Une voix grave et tendre et pareille à ta voix,
Avec des mots soumis aux volontés du nombre,
Agita les rochers, les marais et les bois.
 
Elle disait :—Pourquoi ces pleurs ? Pourquoi ces transes ?
Doux ami, j’étais là ; je n’avais pas bougé.
Ne laisse plus tes yeux se prendre aux apparences :
C’est mon front seulement dont la forme a changé.
 
J’étais là. Cette eau noire et ces tristes ravines,
Et les bois et les monts et le ciel inclément,
Et les pâles regards des étoiles divines,
C’est moi toujours, c’est moi quand même, ô mon amant !
 
Tes yeux ne sont pas faits à ma nouvelle image,
Tu ne vois que les deuils dont est chargé mon front,
Mais un temps doit venir où tu rendras hommage
A la pure beauté qu’ils te révéleront.
 
—Est-ce vrai ? m’écriai-je. Ô déesse, déesse,
Mais quel philtre secret aurait changé soudain
Le cristal de tes yeux en un lac de tristesse
Et les lys de ta joue en un morne jardin ?
 
Et comment ton beau front, élargissant sa courbe,
Eût-il d’un pôle à l’autre empli le vaste ciel ?
Comment ces bois, ces monts, ces rocs, cette âpre tourbe
Auraient-ils pu germer de tes hanches de miel ?...
 
J’attendis ; mais la voix ne devait plus reprendre :
Des cloches dans la brume égrenaient leurs glas sourds ;
Seules, dans l’infini noyé d’un flot de cendre.
Les sept lampes des sœurs d’Hyas brillaient toujours.
 
Hélas ! J’ai trop dormi sous ces tristes étoiles !
J’ai trop aimé ce ciel traversé de longs glas !
Depuis que ton beau front m’est apparu sans voiles,
Toujours le même rêve habite mes yeux las.
 
Les pleurs ont tant meurtri mes paupières brûlantes !
J’ai tant levé vers toi mes bras appesantis !
Tant de nuits ont passé, solitaires et lentes,
Depuis l’aube lointaine où nous sommes partis !
 
Souviens-toi ! La campagne était pleine de brousses...
Ah ! si c’est toi vraiment dont les mains m’ont guidé,
Donne-moi de mourir en touchant tes mains douces,
Les douces mains par qui mon cœur est possédé.
 
Et si j’ai pris pour toi quelque forme éphémère,
Je ne sais quel vain songe élevé sous mes pas,
Donne-moi de mourir en gardant ma chimère
Et de t’aimer encor, quand tu ne serais pas !...

Le bois dormant (1900)

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