Charles Le Goffic

Le serment d’Hoël IV.

Comme je n’ai pu vous celer
Le vieux péché qui me harcèle,
Ô mon âme, vous faites celle
Qui ne veut pas se consoler.
 
Et vous dites : « La bête immonde
Va revenir dans un moment
Et gâtera tout le froment
Que nous gardions pour l’autre monde.
 
« C’est la bête de saint Stefan,
Moitié lionne et moitié femme,
Et qui gonfle sa croupe infâme
Sous la grâce d’un sein d’enfant.
 
« Effroi des pâles cénobites,
Elle entre en eux ses crocs de fer,
Et les sept flammes de l’enfer
Tremblent au creux de ses orbites. »
 
Ô mon âme, me direz-vous
Si c’est par dégoût, crainte ou leurre,
Que vous n’osâtes tout à l’heure
Nommer le monstre horrible et doux ?
 
Son nom, ma chère âme, est Luxure.
Vous le connaissez bien pourtant ;
Mais je veux faire sur l’instant
Un grand serment qui vous rassure :
 
Moi, Hoël IV, prince-abbé
D’Eussa, de Sizun, de Molène,
Seigneur du bois et de la plaine,
Officiai de Pont-Labbé.
 
Je jure par le saint rosaire
Et, s’il est besoin, par la croix
Du Christ Jésus, en qui je crois
Et qui porta notre misère,
 
De ne laisser à mon péché
Aucun repos, aucune trêve,
Tant qu’avec la crosse ou le glaive
Je ne l’aie en terre couché.
 
Et quand la bête sera morte,
Lui rendant affronts pour affronts,
Alors, mon âme, nous pourrons
Clouer sa guenille à ma porte.
 
Et libres de tout souci vain,
Dans le pur enclos de délices,
Avec des mains fraîches et lisses,
Nous peignerons l’Agneau Divin.

Le bois dormant (1900)

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