Ce premier soir, pourquoi, pourquoi
M’avais-tu dit, tout abattue,
Qu’avant de te donner à moi
Un autre que moi t’avait eue ?
Et comment, comment, ce soir-là.
Faut-il que seul je me souvienne
Comment ma pitié te parla,
Te parla de la faute ancienne ?
Ne nous revois-tu pas auprès,
Assis auprès de ce vieux saule ?
Ne sais-tu pas que tu pleurais
Éperdument sur mon épaule ?
Moi je sais que je bus tes pleurs
Et, t’emportant loin de la route.
Quand je te couchai dans les fleurs,
Je sais que tu défaillis toute.
C’était en Bretagne, voici
Trois ans passés depuis septembre,
Un soir pareil à celui-ci,
Dans les genêts aux gousses d’ambre.
À-t-on coupé les genêts verts ?
Les amants suivent-ils encore
Le sentier qui mène au travers.
De Keriel à Roudarore ?
De Roudarore à Keriel,
Ô le bon sentier frais et sombre !
L’air était doux comme le miel ;
Des sources bruissaient dans l’ombre.
Moi je n’évoque qu’en tremblant
Ce coin de la terre bretonne
Et ce beau soir, languide et blanc,
Où mourait le soleil d’automne.
Ah ! ce soir, ce soir adoré,
Ce soir qu’emplissaient nos deux âmes,
Ah ! pauvres enfants, c’est donc vrai,
C’est vrai que nous nous abusâmes !
Tous ceux que j’aimais sont partis.
Je ne sais pas si j’en suis cause ;
Mais sur mes yeux appesantis
Je sens qu’un nouveau deuil se pose.
J’ai peur... Rassure-moi... Ce bruit,
Ces pas furtifs près de la porte...
Quelqu’un s’est levé dans la nuit.
Si ce n’est pas toi, que m’importe ?
Et qui donc serait-ce, ô mon cœur ?
Pour qui me tiendrais-je aux écoutes ?
Quel autre éveillerait le chœur
De mes soupçons et de mes doutes ?
Toi qui fuis à pas inquiets,
Je t’avais pardonné ta faute.
Pourquoi t’en vas-tu ? Je croyais
Qu’on devait vivre côte à côte.
Ô nuits, ô douces nuits d’antan,
Où sont nos haltes et nos courses,
Le vieux saule près de l’étang
Et les genêts au bord des sources ?
C’est ici la chanson d’amour
Qu’on chante au coin des cheminées,
L’hiver, sur le déclin du jour.
Dans les maisons abandonnées...