Charles Le Goffic

Le manoir.

Mon cœur est un manoir croulant et solitaire,
Un vieux manoir perdu de l’antique Occident
Entre qui veut ! Le vent, la brume et le mystère
           Par ses corridors vont rôdant.
 
Ils sont chez eux dans ce vieux cœur mélancolique,
Haut et profond et tout tapissé de regrets.
Dans l’ombre, pour ne pas heurter quelque relique,
           Leurs pas se font lents et discrets.
 
Mais toi qui viens si tard dans ma vie et qui portes,
Comme une torche d’or, ta jeunesse à la main,
Reste au seuil de mon cœur ; ne franchis pas ses portes :
           Sois la passante du chemin.
 
Sois celle dont on dit : « Je l’eusse aimée » et celle
Qu’on suit d’un long regard songeur, presque attristé,
Puis qu’on oublie et qui pourtant laisse après elle
           Comme un sillage de clarté.
 
C’est assez pour mon cœur. L’ombre peut redescendre :
Le vieux manoir perdu qui n’a plus d’habitants
Gardera jusqu’au soir sur sa face de cendre
           Le reflet blond de tes vingt ans.

Impressions et souvenirs (1922)

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