Pour bercer son sommeil mystique de Bretonne,
Au fond du petit lit où l’on se pelotonne,
Je lui chante à mi-voix les chansons de jadis,
Viviane aux yeux pers, Merlin ou le Roi d’Ys,
Qu’étreignait un démon accroupi sur sa selle.
Mais la chanson qu’elle aime entre toutes est celle
De Margot, d’une enfant qui mourut en souci
De n’avoir pas trouvé d’épouseur. La voici :
Une chanson vient d’être écrite
En dialecte léonard,
Une chanson sur Marguerite
De Keronar.
C’était la plus riche héritière
Qu’on connût chez nos paysans.
On l’a menée au cimetière
À vingt-deux ans.
—Margot, Margot, que je te gronde !
Où sont passés ta lèvre en fleurs,
Tes fins cheveux, ta gorge ronde
Et tes couleurs ?
—C’est votre faute à vous, ma mère,
On vous l’a dit et répété :
Rien n’est, hélas plus éphémère
Que la beauté.
À quoi me sert d’être jolie
Comme un fruit mûr en sa saison,
Si par vos ordres l’on m’oublie
À la maison ?
Le plus beau tissu devient loque.
C’est le destin qu’ont nos appas.
Mariez-nous quand c’est l’époque :
N’attendez pas !...
Je veux qu’on m’enterre un dimanche.
Creusez ma tombe et semez-y
De l’aubépin, de la pervenche
Et du souci.
Pour vous dont les cœurs infidèles
Ont fui tout à coup de mon toit,
Comme on voit fuir les hirondelles
Au premier froid,
Puisque aujourd’hui dans nos campagnes,
Fermier, gentilhomme ou valet.
Vous avez trouvé les compagnes
Qu’il vous fallait,
Ô jeunes gens de ma paroisse.
Je prierai Jésus, mon Seigneur,
Qu’il favorise et qu’il accroisse
Votre bonheur !
Et maintenant sonnez l’antienne.
Oignez mon corps d’ambre et de nard.
Je n’ai plus rien qui me retienne
À Keronar...—
Elle mourut sur ces paroles,
Un soir que les vents attiédis
Jouaient dans les branches des saules
De profundis !