Charles Cros

Au café

Le rêve est de ne pas dîner,
Mais boire, causer, badiner
   Quand la nuit tombe ;
Épuisant les apéritifs,
On rit des cyprès et des ifs
   Ombrant la tombe.
 
Et chacun a toujours raison
De tout, tandis qu’à la maison
   La soupe fume,
On oublie, en mots triomphants,
Le rire nouveau des enfants
   Qui nous parfume.
 
On traverse, vague semis,
Les amis et les ennemis
   Que l’on évite.
Il vaudrait mieux jouer aux dés,
Car les mots sont des procédés
   Dont on meurt vite.
 
Ces gens du café, qui sont-ils ?
J’ai dans les quarts d’heure subtils
   Trouvé des choses
Que jamais ils ne comprendront.
Et, dédaigneux, j’orne mon front
   Avec des roses.

Le collier de griffes (posthume, 1908)

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