Charles-Augustin Sainte-Beuve

Causerie au bal

                         À Madame ***.
 
Et je vous ai revue, et d’espérance avide
J’ai rougi ; près de vous un fauteuil était vide ;
Et votre œil sans courroux sur moi s’est reposé,
Et je me suis assis, et nous avons causé :
«—Que le bal est brillant, et qu’une beauté blonde,
Nonchalamment bercée au tournant d’une ronde,
Me plaît ! sa tête penche ; elle traîne ses pas.
—Vous, madame, ce soir, vous ne dansez donc pas ?
—Oui, j’aime qu’en valsant une tête s’incline ;
J’aime sur un cou blanc la rouge cornaline,
Des boutons d’oranger dans des cheveux tout noirs,
Les airs napolitains qu’on danse ici, les soirs ;
Surtout j’aime ces deux dernières barcaroles ;
Hier on me les chantait, et j’en sais les paroles.
—Qu’un enfant de quatre ans, n’est-ce pas ? dans un bal
Est charmant, quand, tout fier, et d’un pas inégal
Il suit une beauté qui par la main le guide,
Et qui le baise après, rayonnant et timide.
—Au milieu de ce bruit, comme votre enfant dort,
Madame ! ses cheveux sont, au soir, d’un blond d’or.
Il sourit ; en rêvant, lui passe une chimère ;
Il entr’ouvre un œil bleu : c’est bien l’œil de sa mère. »
—Et mille autres propos. Mais qu’avez-vous déjà ?
J’ai cru revoir l’air froid qui souvent m’affligea.
Avons-nous donc fait mal ? d’une voix qui soupire
Ai-je effrayé ce cœur, ou d’un trop long sourire ?
Ai-je parlé trop bas ? ai-je d’un pied mutin
Agacé sous la robe un soulier de satin ?
Saisi trop vivement un éventail qui glisse ?
Serré la main qui fuit, au bord de la pelisse ?
Ai-je dit un seul mot de regrets et d’amours
Mais qu’au moins nous causions et longtemps et toujours !

Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme (1829)

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