Antoine-Vincent Arnault

Le chêne et les buissons

                     Fable XI, Livre III.
 
 
Le vent s’élève ; un gland tombe dans la poussière :
Un chêne en sort.—Un chêne ! Osez-vous appeler
Chêne cet avorton qu’un souffle fait trembler ?
Ce fétu, près de qui la plus humble bruyère
             Serait un arbre ?—Et pourquoi non ?
Je ne m’en dédis pas, docteur ; cet avorton,
Ce fétu, c’est un chêne, un vrai chêne, tout comme
             Cet enfant qu’on berce est un homme.
Quoi de plus naturel, d’ailleurs, que vos propos !
Vous n’avez rien dit là, docteur, qu’en leur langage
             Tous les buissons du voisinage
Sur mon chêne, avant vous, n’aient dit en d’autres mots :
« Quel brin d’herbe, en rampant, sous notre abri se range ?
             Quel germe inutile, égaré,
             À nos pieds végète enterré
             Dans la poussière et dans la fange ? »
«—Messieurs, » leur répondait, sans discours superflus,
Le germe, au fond du cœur, chêne dès sa naissance,
« Messieurs, pour ma jeunesse ayez plus d’indulgence :
Je croîs, ne vous déplaise, et vous ne croissez plus. »
             Le germe raisonnait fort juste :
Le temps, qui détruit tout, fait tout croître d’abord ;
             Par lui le faible devient fort ;
             Le petit, grand ; le germe, arbuste.
Les buissons, indignés qu’en une année ou deux
             Un chêne devînt grand comme eux,
             Se récriaient contre l’audace
De cet aventurier qui, comme un champignon,
Né d’hier et de quoi ? sans gêne ici se place,
Et prétend nous traiter de pair à compagnon !
L’égal qu’ils dédaignaient cependant les surpasse ;
D’arbuste il devient arbre, et les sucs généreux
             Qui fermentent sous son écorce,
De son robuste tronc à ses rameaux nombreux
Renouvelant sans cesse et la vie et la force,
Il grandit, il grossit, il s’allonge, il s’étend,
             Il se développe, il s’élance ;
             Et l’arbre, comme on en voit tant,
             Finit par être un arbre immense.
De protégé qu’il fut, le voilà protecteur,
Abritant, nourrissant des peuplades sans nombre :
             Les troupeaux, les chiens, le pasteur,
             Vont dormir en paix sous son ombre ;
L’abeille dans son sein vient déposer son miel,
             Et l’aigle suspendre son aire
À l’un des mille bras dont il perce le ciel,
Tandis que mille pieds l’attachent à la terre.
L’impétueux Eurus, l’Aquilon mugissant,
En vain contre sa masse ont déchaîné leur rage ;
Il rit de leurs efforts, et leur souffle impuissant
             Ne fait qu’agiter son feuillage.
   Cybèle aussi n’a pas de nourrissons,
De l’orme le plus fort au genêt le plus mince,
Qui des forêts en lui ne respecte le prince :
Tout l’admire aujourd’hui, tout, hormis les buissons.
« L’orgueilleux ! disent-ils ; il ne se souvient guères
             De notre ancienne égalité ;
             Enflé de sa prospérité,
A-t-il donc oublié que les arbres sont frères ? »
«—Si nous naissons égaux, repart avec bonté
L’arbre de Jupiter, dans la même mesure
Nous ne végétons pas ; et ce tort, je vous jure,
             Est l’ouvrage de la nature,
             Et non pas de ma volonté.
Le chêne vers les cieux portant un front superbe,
             L’arbuste qui se perd sous l’herbe,
             Ne font qu’obéir à sa loi.
Vous la voulez changer ; ce n’est pas mon affaire ;
             Je ne dois pas, en bonne foi,
             Me rapetisser pour vous plaire.
Mes frères, tâchez donc de grandir comme moi. »

Fables, Livre III (1812)

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