Antoine-Vincent Arnault

La statue de neige

               Fable XIII, Livre III.
 
 
L’autre hiver, des badauds attroupés dans ma rue
   S’extasiaient devant une statue :
             C’était la reine de Paphos,
Chef-d’œuvre qu’un artiste échappé du collège
   Avait tiré...—D’un marbre de Paros ?
             Non, lecteur ; mais d’un tas de neige.
Le ciseau de Chaudet n’aurait pas excité
Plus d’admiration dans la foule ébahie.
«—Voilà ce qui s’appelle une œuvre de génie,
« Un morceau vraiment fait pour la postérité !
             « Que cette tête est noble et belle !
             « Disaient, en soufflant dans leurs doigts,
« Trois amateurs transis ; l’antiquité, je crois,
             « N’a rien à mettre en parallèle.
«—Rien ! dit un antiquaire indigné du propos ;
             « Rien ! puis-je entendre un tel blasphème ?
« Rien ! ne craignez-vous point de passer pour des sots ?
             «—Des sots ! nous, monsieur ? Sot vous-même,
Si vous n’admirez pas ces formes, ces contours,
« Cette pose à la fois sublime et naturelle,
« Ce sourire où l’on voit se jouer les Amours :
             « Non, la Vénus de Praxitèle
             « N’est qu’un bloc en comparaison.
«—Qu’un bloc ! » dit l’érudit étouffant de colère,
             Comme s’il n’avait pas raison,
« J’espère aux ignorants démontrer le contraire ;
« Je ne veux rien qu’un mois. » Et s’échappant soudain,
Il grimpe à son taudis, s’enferme, prend la plume,
             Compulse maint et maint volume,
             Cite maint Grec et maint Romain ;
Se fatigue la tête, et plus encor la main.
Que d’encre prodiguée, et que d’encre perdue !
Non qu’au jour dit l’erreur n’eût été confondue,
Et le goût rétabli dans son honneur vengé ;
Mais, tandis qu’il grimpait, le temps avait changé,
             Et la Vénus était fondue.

Fables, Livre III (1812)

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