André Breton

Ode a Charles Fourier– Ode

En ce temps-là je ne te connaissais que de vue
 
Je ne sais même plus comment tu es habillé
Dans le genre neutre sans doute on ne fait pas mieux
Mais on ne saurait trop complimenter les édiles
De t’avoir fait surgir à la proue des boulevards extérieurs
C’est ta place aux heures de fort tangage
Quand la ville se soulève
Et que de proche en proche la fureur de la mer gagne
 
ces coteaux tout spirituels
Dont la dernière treille porte les étoiles
Ou plus souvent quand s’organise la grande battue
 
nocturne du désir
Dans une forêt dont tous les oiseaux sont de flammes
Et aussi chaque fois qu’une pire rafale découvre à la
 
carène
Une plaie éblouissante qui est la criée aux sirènes
Je ne pensais pas que tu étais à ton poste
Et voilà qu’un petit matin de 1937
 
Tiens il y avait autour de cent ans que tu étais mort
 
En passant j’ai aperçu un très frais bouquet de violettes à tes pieds
 
Il est rare qu’on fleurisse les statues a
Paris
Je ne parle pas des chienneries destinées à mouvoir le troupeau
Et la main qui s’est perdue vers toi d’un long sillage égare aussi ma mémoire
 
Ce dut être une fine main gantée de femme
On aimait s’en abriter pour regarder au loin
Sans trop y prendre garde aux jours qui suivirent j’observai que le bouquet était renouvelé
La rosée et lui ne faisaient qu’un
Et toi rien ne t’eut fait détourner les yeux des boues diamantifères de la place
Clichy
 
Fourier es-tu toujours là
 
Comme au temps où tu t’entêtais dans tes plis de
 
bronze à faire dévier le train des baraques foraines
 
Depuis qu’elles ont disparu c’est toi qui es incandescent
 
Toi qui ne parlais que de lier vois tout s’est délié
 
Et sens dessus dessous on a redescendu la côte
 
Les lèvres entrouvertes des enfants boudant le sein
 
des mères dénudées
Et ces nacres d’épaules et ces fesses gardant leur duvet
S’amalgament en un seul bloc compact et mat d’écume
 
de rner
Que saute un filet de sang
 
Sur un autre plan
 
Car les images les plus vives sont les plus fugaces
La manche du temps hume la muscade
 
Et fait saillir la manchette aveuglante de la vie
Sur un autre plan
D’aucuns se prennent à choyer dans les éboulis au
 
bord des mares
Des espèces qui paraissent en voie de s’encroûter
 
définitivement
Mais qui les circonstances aidant ne semblent pas
 
incapables d’une nouvelle reptation
Et passent pour nourrir volontiers leur vermine
On répugne à trancher leurs œufs sans coque
Leur frai immémorial glisse sur la peur
Tu les a connues aussi bien que moi
Mais tu ne peux savoir comme elles sont sorties lissées et goulues de l’hivernage
 
Tu pensais que sur terre la création d’essai qui avait nécessité des modèles carnassiers d’ample dimension n’avait pas résisté au premier déluge alors que
précisais-tu une deuxième création sur l’Ancien
Continent et une troisième en
Amérique avaient trouvé grâce devant un second déluge de sorte que l’homme qui en était issu pouvait attendre de pied ferme et même qu’il lui appartenait de
précipiter à son avantage les créations 4, 5, etc..
Dieu de la progression pardonne-moi c’est toujours le
 
même mobilier
On n’est pas mieux pourvu sous le rapport des contre-moules antirat et antipunaise
Par ma foi les grands hagards de la faune préhistorique
 
Ne sont pas si loin ils gouvernent la conception de
 
l’univers
Et prêtent leur peau halitueuse aux ouvrages des
 
hommes
Pour savoir comme aujourd’hui le commun des mortels
 
prend son sort
Tâche de surprendre le regard du lamantin
Qui se prélasse au zoo dans sa baignoire d’eau
 
tiède
Il t’en dira long sur la vigueur des idéaux
Et te donnera la mesure de l’effort qui a été fourni
Dans la voie de
Y industrie attrayante
Par la même occasion
 
Tu ne manqueras pas de t’enquérir des charognards
Et tu verras s’ils ont perdu de leur superbe
 
Le rideau jumeau soulevé
Tu seras admis à contempler dans son sacre
Une main de sang empreinte à l’endroit du cœur sur
 
son tablier impeccable le boucher-soleil
Se donnant le ballet de ses crochets nickelés
Pendant que les cynocéphales de l’épicerie
Comblés d’égards en ces jours de disette et de marché
 
noir
A ton approche feront miroiter leur côté luxueux
Parmi les mesures que tu préconisais pour rétablir
 
l’équilibre de population (Nombre de consommateurs proportionné aux forces
 
productives)
Il est clair qu’on ne s’en est pas remis au régime
 
gastrosopkique
Dont l’établissement devait aller de pair avec la
 
légalisation des mœurs phanérogames
On a préféré la bonne vieille méthode
 
Qui consiste à pratiquer des coupes sombres dans la
 
multitude fantôme
 
Sous l’anesthésique à toute épreuve des drapeaux
 
Fourier il est par trop sombre de les voir émerger d’un
 
des pires cloaques de l’histoire
Epris du dédale qui y ramène
Impatients de recommencer pour mieux sauter
 
Sur la brèche
 
Au premier défaut du cyclone
 
Savoir qui reste la lampe au chapeau
 
La main ferme à la rampe du wagonnet
 
suspendu
Lancé dans le poussier sublime
 
Comme toi
Fourier
 
Toi tout debout parmi les grands visionnaires
 
Qui crus avoir raison de la routine et du malheur
 
Ou encore comme toi dans la pose immortelle
 
Du
Tireur d’épine
 
On a beau dire que tu t’es fait de graves
 
illusions
Sur les chances de résoudre le litige à
 
l’amiable
A toi le roseau d’Orphée
 
D’autres vinrent qui n’étaient plus armés seulement
 
de persuasion
Ils menaient le bélier qui allait grandir
Jusqu’à pouvoir se retourner de l’orient à l’occident
Et si la violence nichait entre ses cornes
Tout le printemps s’ouvrait au fond de ses yeux
 
Tour à tour l’existence de cette bête fabuleuse m’exalte et me trouble
 
Quand elle a donné de la tète le monde a tremblé il y a eu d’immenses clairières
 
Qui par places ont été reprises de brousse
 
Maintenant elle saigne et elle paît
 
Je ne vois pas le pâtre omnitone qui devrait
 
en avoir la garde
Pourvu qu’elle reste assez vaillante pour
 
aller au bout de son exploit
On tremble qu’elle ne se soit contaminée
 
dès longtemps près des marais
Sous la superbe
Toison si sournoisement
 
allaient s’élaborer des poisons
 
Le drame est qu’on ne peut répondre de ces êtres de très grandes proportions qu’il advient au génie de mettre en marche et qui livrés à leurs propres ressources
n’ont que trop tendance à s’orienter vers le néfaste à plus forte raison si le recours à un néfaste partiel et envisagé comme transitoire à l’effet même
de réduire dans la suite le néfaste entre dans les intentions dont ils sont pétris
 
Sans prix
 
A mes yeux et toujours exemplaire reste le premier
 
bond accompli dans le sens de l’ajustement de
 
structure
Et pourtant quelle erreur d’aiguillage a pu être
 
commise rien n’annonce le règne de
Ykarmonie
Non seulement
Oésus et
Lucullus
Que tu appelais à rivaliser aux sous-groupes des tentes
 
de la renoncule
Ont toujours contre eux
Spartacus
Mais en regardant d’arrière en avant on a l’impression
 
que les parcours de bonheur sont de plus en plus
 
clairsemés
Indigence fourberie oppression carnage ce sont toujours
 
les mêmes maux dont tu as marqué la civilisation au
 
fer rouge
Fourier on s’est moqué mais il faudra bien qu’on tâte
 
un jour bon gré mal gré de ton remède
Quitte a faire subir à l’ordonnance de ta main telles
 
corrections d’angle
A commencer par la réparation d’honneur
Due au peuple juif
Et laissant hors de débat que sans distinction de
 
confession la libre rapine parée du nom de commerce
 
ne saurait être réhabilitée
Roi de passion une erreur d’optique n’est pas pour
 
altérer la netteté ou réduire l’envergure de ton regard
Le calendrier à ton mur a pris toutes les couleurs du
 
spectre
Je sais comme sans arrière-pensée tu aimerais
Tout ce qu’il y a de nouveau
Dans l’eau
Qui passe sous le pont
 
Mais pour mettre ordre à ces dernières acquisitions et qui sait par impossible se les rendre propices
Ton vieux bahut en cœur de chêne est toujours bon
Tout tient sinon se plaît dans ses douze tiroirs
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