Amédée Pommier

Le bord de l’eau.

           Je te revois, île chérie,
           Frais et voluptueux séjour,
Où l’ombrage, arrêtant les traits brûlants du jour,
Et formant sur ma tête une arcade fleurie,
Semble fait pour cacher les larcins de l’amour,
           Et pour protéger tour à tour
           Le sommeil et la rêverie !
 
Saule mélancolique, abaisse sur mes yeux
           Ta longue et molle chevelure.
           La pâleur de cette verdure,
Ces rameaux languissants, tristes, silencieux,
Rappellent à mon cœur l’aspect d’un malheureux
           Pleurant sur quelque sépulture.
 
Arbre cher au poète, arbre ami du repos,
Fais-moi goûter encore ton ombre hospitalière ;
Fais pendre sur mon front tes festons inégaux,
Et qu’à travers ce voile une tendre lumière
Effleure doucement ma tranquille paupière,
Comme un songe léger versant l’oubli des maux !
 
Je dépose à tes pieds tout sentiment pénible.
           Ici mon cœur, inaccessible
Aux soins de l’avenir, aux regrets du passé,
Par la molle indolence aimablement berce,
Laisse couler le temps dans sa fuite insensible.
 
           Le ciel est pour moi plus serein
           Dans cette heureuse solitude ;
           Une profonde quiétude
Semble du haut des airs descendre dans mon sein ;
Elle y verse à longs flots l’oubli, l’indifférence
Des plaisirs mensongers et des chagrins réels.
Sur un lit de gazon, qu’entoure le silence,
Goûtant de ces beaux lieux les charmes naturels,
Je sommeille à demi, sans songer aux mortel,
           Et nonchalant de l’existence.
 
Des flancs du, mont natal, en ruisseau descendu,
Pour se livrer ensuite à sa course incertaine,
Le fleuve devant moi lentement se promène,
           Et dans la campagne épandu,
Roule ses belles eaux sur une blonde arène.
Qu’il charme les regards par sa limpidité !
           Dans sa carrière spacieuse
           Marchant avec tranquillité,
           D’une nature gracieuse
II réfléchit les traits et la sérénité.
Au sein des prés fleuris je le vois qui serpente ;
           Mais, quoiqu’il coule avec lenteur,
Il s’enfuit néanmoins, ainsi que le bonheur,
           Par une irrésistible pente.
 
           Avant d’arriver en ces lieux,
           Dans ses détours capricieux,
           Il baigne cent plaines fécondes ;
Puis vient presser cette île aux bords délicieux
           De la ceinture de ses ondes.
Du flot qui cède au flot le sourd bruissement,
L’agréable fraîcheur de l’élément liquide,
           Le calme de l’isolement,
Voilà les voluptés dont mon âme est avide.
 
Tantôt, le cœur ému par un charme secret,
           Je prête une oreille pensive
           A la voix de l’onde plaintive
           Qui coule, coule et disparaît,
           Et, dans sa marche fugitive,
           Le long des roseaux de la rive
           Semble soupirer de regret.
Tantôt, plein des accords de cette onde inspirante,
Je fixe dans des vers, sans travail enfantés,
Les vagues sentiments, les rêves enchantés,
           Que son doux murmure alimente.
           Quelquefois, d’un regard errant,
           Je suis le spectacle mobile
           De la lumière qui vacille
           En reflets d’or sur le courant.
 
Cependant le soleil, quittant notre hémisphère,
Ne nous adresse plus que d’obliques rayons ;
Du lointain occident il gagne la barrière,
Et va darder ses feux à d’autres régions.
Sa vigilante sœur à l’instant le remplace :
           L’astre qui préside au repos
Des plaines d’alentour éclaire la surface,
Et brille à plis d’argent sur la nappe des eaux.
           Comme son char paisiblement voyage
           Dans les espaces de la nuit !
           Comme son regard s’introduit
           Sous ces portiques de feuillage !
           Comme son doux éclat reluit
Sur le flot inconstant qui berce son image !
 
Beaux lieux, réduits secrets, aux approches du soir,
Je reviendrai souvent contempler la nature ;
A l’ombre des rameaux tressés en voûte obscure,
           Souvent je reviendrai m’asseoir.
Il est doux de céder à la mélancolie,
En laissant ses regards rêveusement flotter
Sur l’humide élément qu’on ne peut arrêter,
           Et qui s’écoule avec la vie.

Poésies (1832)

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