Amédée Pommier

La mort d’un enfant.

Il est gisant sur le rivage
Le jeune arbuste à peine né,
Qui d’un destin plus fortuné
Semblait nous offrir le présage :
Hier il croissait couronné
D’un tendre et verdoyant feuillage :
Qui pouvait prévoir que l’orage,
Contre lui soudain déchaîné,
Aurait si tôt déraciné
Ce frêle ornement du bocage ?
Repose en paix, aimable enfant,
Qui, par un arrêt trop sévère,
Comme une étoile passagère,
N’es venu briller qu’un instant
Aux yeux attendris de ta mère,
Et qui, sensible et caressant
Durant ton séjour sur la terre,
Souriais même en approchant
De la longue nuit funéraire
Où t’a replongé le néant !
Hélas ! Nos cœurs, sans défiance,
Rêvaient déjà ton avenir,
Et se plaisaient à l’embellir
Des doux rayons de l’espérance :
Nous étions loin de pressentir
Cette inexorable sentence
Qui te condamnait à mourir
Dans le berceau de ta naissance.
Mais pourquoi plaindre ton destin ?
Ah ! Quand on a connu la vie,
On porte bien souvent envie
A qui n’a vécu qu’un matin.
Est-il un sort plus déplorable
Que de s’éteindre avec lenteur,
Et de voir le temps destructeur
Frapper d’un bras impitoyable
Tout ce qu’a chéri notre cœur ?
En nous éloignant du rivage,
Il nous faut chaque jour pleurer
Quelque compagnon de voyage
Dont la mort vient nous séparer.
Les sens eux-mêmes s’affaiblissent ;
Le corps cherche en vain sa vigueur ;
De l’âme tombée en langueur
Les facultés s’anéantissent ;
Les accès du cœur sont fermés,
Et, presque détaché de l’être,
On cesse enfin de reconnaître
Ceux que l’on a le plus aimés !
Telle est la fidèle peinture
De ce vieillard à son déclin,
Pour qui le temps et le chagrin
Ont désenchanté la nature.
Combien ton partage est heureux,
Enfant qui meurs à ton aurore,
Sans avoir pu connaître encore
Tant de supplices douloureux !
Ton âme, paisible, ingénue,
Conservant ses illusions,
N’a point senti ces passions
Dont le feu dévorant nous tue.
Des ennemis insidieux
N’ont point trompé ta confiance ;
Tu croyais voir la bienveillance
Sur tous les fronts, dans tous les yeux,
Et tu revoles vers les cieux
Avec ton heureuse ignorance :
Qu’on est plus digne de pitié
Lorsqu’une triste expérience
Vous a montré l’indifférence
Où l’on espérait l’amitié !
Ta course est bien vite accomplie :
Mais tu n’as connu ni remords,
Ni crainte, ni mélancolie ;
Tu n’as fait qu’effleurer les bords
Du calice amer de la vie.
En t’accordant de plus longs jours
Dans ce royaume de misère,
Le sort, qui ferme ta paupière,
T’aurait fait regretter le cours
De ta félicité première.
Peut-être n’est-il point cruel
En te privant de l’existence,
Quand tu n’as connu sous le ciel
Que le doux baiser maternel
Et le bonheur de l’innocence !

Poésies (1832)

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