Alphonse Esquiros

La lampe du poète.

La lampe du poète agonisait dans l’ombre ;
Des rapides printemps il voyait fuir le nombre ;
La faim, de son toit pauvre, écartait les amours ;
Sa cruche se vidait, et couché sur la paille :
« Il faut donc, disait-il, il faut que je m’en aille,
         Avec le dernier des beaux jours !
 
Mêlant les ris, l’amour, l’espérance féale,
J’enflais à mon aurore une bulle idéale ;
Papillon, je cherchais mon lit dans une fleur ;
Un sylphe me berçait sur son aile bénie ;
Comme un lys en parfum, mon âme en harmonie
         S’évaporait, loin du malheur.
 
Mais, fleur, j’ai vu sécher ma goutte de rosée ;
Au souffle des humains ma bulle s’est brisée ;
Une abeille a sucé mon calice argenté ;
Papillon, j’ai brûlé mes ailes à la gloire ;
Et mon sylphe a froissé sa ceinture de moire,
         Aux ronces de la pauvreté.
 
Le sort n’a-t-il donc pas de plus superbe tête,
Pour secouer dessus l’éclair et la tempête ?
Ô pourquoi m’empêcher de finir ma chanson !
Si je ne t’ai rien fait, si mes jeux sont sincères,
Pourquoi, vautour cruel, poursuivre de tes serres
         Petit oiseau sous le buisson !
 
Je demandais si peu dans ma courte veillée,
Un peu d’azur, d’émail, d’ombre sous la feuillée !
Dans un bouton fleuri mon printemps s’écoulait ;
Mon vol sur l’océan n’a pas cherché l’orage,
Mais chétive éphémère, hélas ! J’ai fait naufrage,
         Au fond d’une goutte de lait.
 
Le malheur m’étreignit de ses serres puissantes ;
J’ai dévoré longtemps des larmes bien cuisantes ;
Mais mon cœur, aux mortels ne s’est pas révélé.
Qu’ils ne s’arrêtent pas devant mes douleurs vaines ;
Il faudrait tant souffrir pour comprendre mes peines
         Que je crains d’être consolé !
 
Je cherche seulement un calice de rose
Où mon aile froissée, en tombant se repose ;
Et quand le jour viendra de m’envoler aux cieux,
Je voudrais, Chrysalide au corsage d’ivoire,
M’ensevelir moi-même en un rayon de gloire
         Comme elle en un tombeau soyeux ! »
 
Lorsque l’on vint ouvrir la porte du poète,
Dans ses doigts languissait une lyre muette ;
Un souffle avait flétri sa couronne de fleurs,
Et comme un fruit tombé de son écorce verte,
On voyait commencé sur sa lèvre entrouverte
         Un son qu’il achevait ailleurs.

Les hirondelles (1834)

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