Albert Samain

Les colombes

                             Sonnet.
 
 
Partout la mer unique étreint l’horizon nu,
L’horizon désastreux où la vieille arche flotte ;
Au pied du mât penchant l’Espérance grelotte,
Croisant ses bras transis sur son cœur ingénu.
 
Depuis mille et mille ans pareils, le soir venu,
L’Âme assise à la barre, immobile pilote,
Regarde éperdument dans l’ombre qui sanglote
Ses colombes s’enfuir vers le port inconnu.
 
Elles s’en vont là-bas, éparpillant leurs plumes
À travers le vent fou qui les cingle d’écumes,
Ivres du vol sublime enfermé dans leurs flancs ;
 
Et, chaque lendemain, au jour blême et cynique,
L’arche voit surnager leurs doux cadavres blancs,
Les deux ailes en croix sur la mer ironique.

Au jardin de l’infante (1893)

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