Albert Samain

Chanson violette

Et ce soir-là, je ne sais,
Ma douce, à quoi tu pensais,
   Toute triste,
Et voilée en ta pâleur,
Au bord de l’étang couleur
   D’améthyste.
 
Tes yeux ne me voyaient point ;
Ils étaient enfuis loin, loin
   De la terre ;
Et je sentais, malgré toi,
Que tu marchais près de moi,
   Solitaire.
 
Le bois était triste aussi,
Et du feuillage obscurci,
   Goutte à goutte,
La tristesse de la nuit,
Dans nos cœurs noyés d’ennui,
   Tombait toute...
 
Dans la brume un cor sonna ;
Ton âme alors frissonna,
   Et, sans crise,
Ton cœur défaillit, mourant,
Comme un flacon odorant
   Qui se brise.
 
Et, lentement, de tes yeux
De grands pleurs silencieux,
   Taciturnes,
Tombèrent comme le flot
Qui tombe, éternel sanglot,
   Dans les urnes.
 
Nous revînmes à pas lents.
Les crapauds chantaient, dolents,
   Sous l’eau morte ;
Et j’avais le cœur en deuil
En t’embrassant sur le seuil
   De ta porte.
 
Depuis, je n’ai point cherché
Le secret encor caché
   De ta peine...
Il est des soirs de rancœur
Où la fontaine du cœur
   Est si pleine !
 
Fleur sauvage entre les fleurs,
Va, garde au fond de tes pleurs
   Ton mystère ;
Il faut au lis de l’amour
L’eau des yeux pour vivre un jour
   Sur la terre.

Au jardin de l’infante (1893)

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